Bilan du « Symposium stratégique de l’industrie des semi-conducteurs en Europe »

Du 26 au 28 février 2012 s’est déroulé à Munich le Forum ISS Europe 2012, symposium sur la vision et la stratégie de l’industrie du semiconducteur, organisé par l’association industrielle mondiale du semi-conducteur, SEMI. Une centaine de participants de haut niveau, représentant les industriels du domaine, mais aussi les clusters européens de recherche de pointe (Grenoble en France, Dresde en Allemagne, Louvain/ Eindhoven réparti entre Belgique et Pays-Bas), les organismes de développement économique et les pouvoirs publics nationaux et européens, ont pu échanger sur les éléments marquants qui définissent la vision et les contraintes inhérentes à la continuité de la feuille de route internationale ITRS en micro et nanoélectronique.

Quatre points d’intérêt majeurs sont à retenir : l’intérêt pour la vision transversale et fédératrice portée par les KET (« Key Enabling Technologies »), les craintes liées au passage potentiel au standard 450 mm, le bon positionnement des acteurs européens dans les systèmes intelligents et les capteurs (MEMS), ainsi que pour les fonctions de gestion énergétique et le développement de l’électronique organique, et enfin la présentation de l’avènement de nouveaux centres européens.

En premier lieu, la vision publique-privée européenne autour des KET, véritables technologies transversales clées validées par la Commission Européenne dans son futur programme Horizon 2020 (prochain PCRD), sont saluées par les acteurs comme un moyen de valoriser les hybridations entre ces technologies transverses et de montrer leur rôle moteur en tant que brique de base pour le développement des domaines innovants de demain. Les KET incluent la nanoélectronique, les nano- et les biotechnologies, la photonique, les matériaux et méthodes de production avancés, et sont définies comme possédant un cycle d’innovation rapide, basé sur une main d’oeuvre hautement qualifiée, et nécéssitant des activités en R&D et un capital intense. La nanoélectronique répond particulièrement à ces conditions, le coût d’une ligne de R&D et production 300 mm (le standard actuel) se montant encore à environ trois milliards de dollars.

Si différentes KET (électronique, nanotech, matériaux avancés, biotechnologies) sont désormais nécessaires conjointement au développement d’un produit d’avenir tel une voiture électrique ou encore une puce « lab-on-chip » pour le diagnostic médical, le problème est qu’elles seraient, selon les experts, encore trop séparées entre les différents organismes les encourageant. De plus, une véritable « vallée de la mort » est pointée du doigt par les observateurs de cabinets d’analyse en innovation (IC Insights et Future Horizons), montrant qu’entre la recherche européenne de très haute qualité et sa valorisation dans l’industrie se maintient un fossé difficile pour le transfert de valeur. A titre d’exemple, si l’Europe détient quasiment un tiers des brevets mondiaux en technologies photovoltaïques, et représente actuellement 80% du marché, elle ne contribue qu’à 10% de la production, et donc de la captation de valeur finale. Ceci est en partie expliqué par les stratégies volontaristes d’autres continents, les Etats-Unis faisant l’acquisition de plus en plus de « graines de champions européens » dans les KET (exemple de firmes de biotechnologies financées à 90% à condition qu’elles s’implantent outre-Atlantique), ou la Chine ayant alloué 6,5 milliards de dollars de subventions dans le photovoltaïque, plaçant ainsi en quelques années cinq de ses acteurs dans le top 10 mondial.

Les observateurs du secteur, saluant la vision publique-privée européenne autour des KET, préconisent ainsi une réallocation des fonds de soutien à la recherche : si les fonds alloués à la recherche fondamentale par rapport au budget total sont de 12% en Chine et 18% aux Etats-Unis (et donc 88 et 82% respectivement pour la recherche appliquée), ils ont augmenté dans l’UE jusqu’au niveau actuel de 70% (30% pour la recherche appliquée), notamment du fait de la nature plutôt fondamentale des projets européens. Le rééquilibrage entre soutien à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée constitue pour les analystes présents un moyen de générer plus de valeur tout en conservant les talents, et ainsi d’oeuvrer dans un « intérêt collectif européen » (selon M. Penn, du cabinet Future Horizons).

Le passage au standard industriel de 450 mm (diamètre des plaques de silicium utilisées pour la recherche et la production en nanoélectronique, et permettant à chaque stade une meilleure miniaturisation et performance des puces tout en générant des économies d’échelle sur leur développement), est ainsi un élément de questionnement stratégique prégnant pour les acteurs du secteur. Si jusqu’à présent le standard de 300mm, au développement coûteux, pouvait encore être acquis par les acteurs européens dans les pôles de Grenoble, Dresde, et Louvain/ Eindhoven, les seuls acteurs poussant en faveur du standard supérieurs sont les leaders américains et coréens représentés par Intel à Samsung. Leur investissement de capital en équipements et R&D (environ 26 milliards de dollars à eux deux en 2011) représente la moitié des investissements du secteur, ce qui signifie qu’il est égal à ceux de tous les autres acteurs réunis. Ils seraient donc potentiellement les seuls à pouvoir développer les stades futurs de miniaturisation (dont le coût d’une usine s’élèverait à plus de 6 milliards de dollars), avec peut-être en Europe l’acteur Global Foundries situé à Dresde.

Si un fossé se creuse dans les capacités d’investissement des acteurs (et donc leur poursuite de la miniaturisation stricte), les instituts de recherche et les entreprises européennes conservent et développent leur expertise sur les technologies dérivées et les systèmes intelligents en microélectronique. Dans d’autres études présentées, il a été par exemple souligné que les paris gagnés par STMicroelectronics et par Bosch sur les capteurs intelligents et les MEMS (capteurs électro-mécaniques) leur ont permis de se positionner dans les quatre premières places mondiales. De plus, l’expertise européenne sur les systèmes intelligents de contrôle de puissance (« Power management ») intégrés à une puce, est un avantage dans l’ère de l’économie d’énergie à laquelle les produits électroniques devront s’adapter. Aussi, l’électronique organique, ou électronique imprimée sur polymères, est un segment en développement dans lequel les acteurs européens ont déjà un positionnement avancé. A l’occasion de cette rencontre, la plateforme européenne « Plastics Electronics Foundation » a été officiellement intégrée à l’association SEMI, dans laquelle elle représente un deuxième sous-groupe d’action, à coté de l’axe photovoltaïque (PV).

Enfin, les écosystèmes d’innovations et les activités de R&D en microélectronique développés en Israël et en Russie ont été présentés, afin de clarifier les synergies potentielles au niveau de l’Europe continentale et élargie, qui seront essentielles pour un développement harmonieux et compétitifs de ces technologies clés pour les solutions d’avenir dans la santé, les transports, les communications et l’énergie.

 

 

 

Sources :

Participation au Symposium ISS 2012, 27-28 février 2012

 

Rédacteurs :

Charles Collet, charles.collet@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr