Open Access Conference à Berlin – 19 et 20 novembre 2013

Fêtant les dix ans de la déclaration de Berlin, la Société Max Planck a organisé les 19 et 20 novembre 2013 à Berlin, une conférence de haut niveau sur l’Open Access (libre accès à l’édition scientifique). Des représentants politiques de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et de l’Union européenne ont présenté leurs visions sur l’ouverture des données de la recherche, devant un public international d’académiques et de représentants d’institutions particulièrement engagés.

 

Des exemples d’initiatives européennes, mais également américaines, asiatiques et africaines, sorte de « recettes du succès » ont été mises en lumière. Elles ont montré l’émergence d’initiatives au-delà des frontières, mais aussi le besoin de structuration, ainsi que les défis financiers et idéologiques auquel le libre accès doit faire face.

 

Des initiatives politiques dans le sens de l’Open Access

L’année 2013 marque le dixième anniversaire de la déclaration de Berlin, fondatrice du mouvement « libre accès » en 2003. En ouverture de la conférence, le président de la Société Max Planck a retracé le chemin parcouru depuis le lancement de cette initiative et les bénéfices qui pouvaient déjà être identifiés. Puis des représentants gouvernementaux ont présenté les démarches nationales respectives en faveur de l’Open Access.

 

Georg Schütte, Secrétaire d’Etat au Ministère fédéral allemand pour l’enseignement et la recherche (BMBF), a insisté sur le fait que la R&D restait une priorité pour le gouvernement, car intrinsèquement à la base du développement économique et de la création d’emplois. La récente loi sur le droit d’auteur, permettant une seconde publication pour tous les articles sortant après le 1er janvier 2014, après un « embargo » de douze mois, constitue une première étape d’ouverture des données. Il serait, selon le secrétaire d’Etat, nécessaire de continuer dans cette voie pour faire de l’Open Access la norme dans la communication scientifique.

 

Roger Genet, Directeur général pour la recherche et l’innovation au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, a présenté la position française. Considérant qu’il était difficile de prédire le modèle qui prévaudrait dans le futur (« Green Access » (auto-archivage) ou/et « Gold Access » (publication dans des journaux en Open Access avec frais à la charge de l’auteur), M. Genet a recommandé une approche pragmatique, dans laquelle les chercheurs définiraient eux-mêmes le mode d’accès le mieux adapté à leur domaine. La durée de l' »embargo » pour les publications sur les sciences exactes, en coordination avec l’ANR, se situera dans la norme des durées couramment adoptées dans d’autres pays : 6 ou 12 mois. Concernant les sciences humaines, la décision sera prise au printemps 2014. Il a aussi mentionné la mise en place de différentes plateformes, organisée par la Bibliothèque Scientifique Numérique, devrait rendre plus cohérentes les initiatives déjà en cours (HAL, Theses.fr, Persee, CINES, OpenEdition). OpenEdition a fait l’objet d’une présentation dans le cadre des exemples « à succès » du libre accès. Son fonctionnement économique est particulier, car il repose sur des publications et ouvrages en libre accès sur le site, mais avec des services spécifiques (téléchargement, exploitation facilitée) payants.

 

Pour la Commission Européenne, représentée par Carl-Christian Buhr, l’Open Access joue un rôle central dans la politique actuellement menée par sa commissaire chargée de la société numérique, Neelie Kroes. Amenant à mieux évaluer, comparer, et à tester de nouvelles hypothèses, l’Open Access permet de faire progresser la recherche. Il permet aussi de rendre aux Européens le fruit de leurs investissements. L’engagement de la Commission envers l’ouverture est fort, incluant au sens large la mise à disposition de toutes les données publiques (open data). Il faut toutefois noter qu’une solution unique n’est pas adaptée à l’étendue des différents types de données à mettre en ligne. De son côté, le Conseil européen de la recherche (ERC), s’engage fortement dans l’Open Access en faisant des recommandations ou en imposant des obligations aux chercheurs qui bénéficient de fonds de l’ERC, aussi bien sur les publications que sur les métadonnées.

 

Heather Joseph, de l’alliance internationale des bibliothèques académiques « Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition », est revenue sur les récents développements aux Etats-Unis concernant l’Open Access. Il existe une forte attente de la part des contribuables, d’un retour sur les projets de recherche publique que les impôts financent et qui peuvent être bénéfiques pour la société. Afin d’y répondre, en février 2013, l’administration Obama a mis en place un directive concernant l’accès et la réutilisation des données. Cette directive impose à tous les organismes fédéraux disposant d’un budget R&D annuel de plus de 100 millions de dollars qu’ils mettent en place les dispositions nécessaires permettant un accès ouvert aux publications de leurs chercheurs dans le délai d’un an après la première publication (embargo de 12 mois). Cette directive s’applique à 24 organismes de recherche.

 

Outre-Manche, le débat sur l’Open Acess est également ouvert, comme l’a rapporté David Willetts, Secrétaire d’Etat chargé des universités et de la science. La position britannique est de favoriser le « Golden Access » [1], avec un embargo est de six mois pour les sciences exactes et de douze mois pour les sciences humaines. Selon M. Willetts, le « Green Access » n’encourage pas la mise en ligne rapide des résultats et ne garantit pas la qualité de la relecture par les pairs.

 

Des modèles de fonctionnement garantissant la fiabilité des publications

Glyn Moody, journaliste anglais, a été volontairement provocateur dans son approche du libre accès en le rapprochant de l’évolution des logiciels libres. Le spécialiste de l’Open Access réclame une approche « ZEN – Zero Embargo Now ». Les éditeurs devraient selon lui générer des revenus par une offre de services supplémentaires aux publications, et non par les publications elles-mêmes.

 

Ulrich Pöschl, de l’Institut Max Planck de Chimie, a expliqué que l’Open Access était essentiel au réseau de connaissances. Selon le chercheur, l’Open Access peut garantir, contrairement aux arguments souvent évoqués, une fiabilité des publications mises en ligne. En effet, la relecture traditionnelle serait non seulement compatible avec l’Open Access, mais permettrait également de compléter les informations fournies au lecteur, par la possibilité d’échanges interactifs qu’une publication papier n’offre pas. Ces discussions sont souvent d’intérêt aussi important que la publication elle-même. L’universitaire propose donc un modèle de publication en Open Access avec plusieurs phases d’examens par les pairs. Le journal biomédical en Open Access eLIFE, dont le rédacteur en chef n’est autre que le Prix Nobel de Médecine 2013, a été cité en gage de qualité et de large diffusion des publications en accès libre.

 

Par ailleurs, une étude menée pour le compte de la Commission Européenne indique une croissance stable du nombre de publications en Open Access, et également la progression du Golden access au détriment du du Green access.

 

Un défi économique et idéologique, nécessitant une période de transition courte

L’un des avantages de l’Open Access avancé par ses partisans est une réduction des coûts pour les universités, par l’abandon des abonnements aux éditeurs. Ce raisonnement, justifié à long terme, ne sera toutefois pas applicable tant que la plupart des publications ne seront disponibles que chez les éditeurs payants traditionnels. Au contraire, les institutions lançant des initiatives d’Open Access, telles l’Université de Liège (Belgique), ont besoin d’investissements additionnels pour mettre en place une plateforme, tout en devant conserver les abonnements habituels. Le long chemin vers l’Open Access ne pourra être parcouru qu’avec une mobilisation forte et rapide des instituts de recherche, et notamment de leurs équipes de direction (importance de l’approche top-down). Toutefois, Bernard Rentier, recteur de l’Université de Liège a noté deux avantages à court terme de l’Open Access : la possibilité de quantifier ce que produisent ses équipes, et celle de donner de la visibilité aux chercheurs. Les spécialistes s’accordent sur la proportion de publications aujourd’hui en Open Access, située aux alentours de 10%.

 

En conclusion, Jürgen Renn, du réseau Max Planck, a mis en évidence huit problèmes à résoudre pour établir un Open Access durable :
1. Le financement, en considérant que si la majorité des chercheurs publient de façon traditionnelle, il sera difficile pour les autres de poursuivre dans un modèle innovant nécessitant des investissements ;
2. La quantité de données en libre accès nécessaire pour prendre en compte sérieusement cette nouvelle méthode ;
3. Le manque d’encouragement aux jeunes chercheurs, tentés de publier chez les éditeurs traditionnels pour acquérir une certaine crédibilité ;
4. La frilosité du soutien politique, dont les représentants chercheraient plutôt un compromis entre les parties prenantes que les meilleures solutions pour l’ouverture de la recherche ;
5. L’existence d’une période d’embargo, le manque de normes, de contrôle de la qualité, d’interopérabilité pour la réutilisation des données ;
6. La non-contribution des éditeurs à la dimension innovante de l’Open Access ;
7. Le manque d’outils permettant de tirer facilement parti des données en accès libre, notamment en sciences humaines ;
8. Le manque de sécurité des données (lieu géographique de stockage, réplication des données).

Les solutions ne pourront être trouvées qu’avec un fort engagement des équipes dirigeantes des instituts de recherches (processus top-down pouvant fonctionner). Selon Robert Schlögl, du réseau Max Planck la mise en place de normes est indispensable pour assurer la fiabilité des informations mises en ligne, leur interopérabilité, et pour l’infrastructure.

 

De son côté, Cameron Neylon, de la Public Library of Science (projet américain de publication scientifique à accès ouvert fonctionnant sur la base de licences libres), a ajouté qu’actuellement la publication scientifique répondait plus à une volonté d’augmenter le « score » du chercheur qu’à un véritable souhait de diffuser de la connaissance. M. Neylon a insisté sur le besoin de flexibilité des systèmes à mettre en oeuvre, les besoins des communautés (des sciences exactes ou humaines) n’étant pas identiques.

 

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] La position britannique a fait l’objet d’un BE – BE Royaume-Uni 122 – 30/07/2013 – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/73641.htm
– Site de la conférence : http://www.berlin11.org/

 

Sources :

– Participation du rédacteur à la conférence, les 19 et 20 novembre 2013
– « Berlin 11 – Celebrating 10 years of Open Access », article du blog OpenEdition – 20/11/2013 – http://oep.hypotheses.org/1315
– « Obama administration issues directive on open access to federally funded scientific research », article de MIT Libraries News – 22/02/2013 – https://libraries.mit.edu/news/obama-administration/10736/
– « Open Access soll restliche 90 Prozent schaffen », article du portail Solarify – 21/11/2013 – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Jqwdb

 

Rédacteurs :

Aurélien Filiali, aurelien.filiali@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr