[Focus] Edition 2015 du rapport de la Commission d’experts pour la recherche et l’innovation (EFI)

Le 25 février 2015, la Commission d’experts pour la recherche et l’innovation (Expertenkommission Forschung und Innovation, EFI) a remis l’édition 2015 de son rapport annuel à la Chancelière allemande, Angela Merkel, et à la Ministre fédérale de l’enseignement et de la recherche, Johanna Wanka.

 

La Commission EFI rassemble six enseignants-chercheurs, spécialisés en économie de l’innovation. Créée en 2006, à l’initiative du gouvernement fédéral, elle a pour mission d’analyser la performance du système de recherche et d’innovation allemand et d’émettre des recommandations en vue de l’améliorer. Elle publie pour cela chaque année un rapport sur la recherche, l’innovation, et la performance technologique de l’Allemagne, qui dresse un état des lieux de la situation de la République fédérale.

 

Le rapport de la Commission EFI est traditionnellement structuré en trois parties :
– Présentation et analyse des derniers développements de la politique de recherche et d’innovation en Allemagne.
– Analyse détaillée de quatre à cinq « thèmes-clés ». Les thématiques choisies par la Commission correspondent généralement à des sujets risquant de présenter un enjeu stratégique pour l’Allemagne dans les prochaines années, d’où ce traitement approfondi.
– Statistiques et données diverses.

 

Développements récents de la politique de recherche et d’innovation en Allemagne

 

La première partie du rapport traite de cinq sujets :

 

– Les évolutions de la politique de la recherche au cours de l’année 2014

 

La Commission observe qu’au cours de l’année 2014, le gouvernement fédéral allemand a conduit plusieurs réformes majeures dans le domaine de la science et de la recherche :
– La réforme constitutionnelle réorganisant le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche, et autorisant le gouvernement fédéral à financer les universités. Auparavant, cette compétence relevait quasi-exclusivement des Lander.
– Entière prise en charge du financement du BAföG [1] par l’Etat fédéral qui décharge les Lander de près de 1,17 milliard d’euros par an. Cette somme devra, en contrepartie, être réinvestie par les Lander dans les écoles et les universités.
– La poursuite de plusieurs initiatives conjointes entre le gouvernement fédéral et les Lander (Pacte pour l’enseignement supérieur, Pacte pour la recherche et l’innovation, Initiative d’excellence)
La Commission accueille favorablement ces mesures, qui figuraient pour la plupart dans les précédentes éditions de son rapport. Elle indique cependant la nécessité de clarifier davantage certains champs de compétence entre Etat fédéral et Lander et invite les autorités allemandes à ne pas relâcher l’effort de financement de la recherche scientifique, notamment de pointe.

 

– L’effort d’investissement en R&D et les capacités d’innovation des PME allemandes

 

Le niveau des investissements en R&D de l’Allemagne en 2013 s’élevait à 2,85% du PIB (en diminution relative par rapport à 2012 2,98%). Cette baisse s’explique essentiellement par l’adoption d’un nouveau mode de calcul du PIB en Europe. Toutefois, l’objectif de 3% du PIB dédiés à la R&D fixé par l’UE reste en vue pour les autorités allemandes. La Commission encourage les autorités à poursuivre l’effort d’investissement, et suggère de fixer un nouvel objectif de 3,5% du PIB d’ici à 2020. La Commission observe que chez les PME allemandes, les investissements en recherche, bien qu’en hausse, marquent le pas par rapport à celles des grands groupes. Entre 1995 et 2012, le ratio dépenses en R&D/chiffre d’affaires des PME a même diminué. La Commission s’inquiète de cette tendance négative, le Mittelstand jouant un rôle clé dans la performance économique du pays. Elle invite donc le gouvernement fédéral à initier des réformes visant à soutenir l’investissement dans ce type d’entreprises.

 

– La nouvelle Stratégie High-Tech du gouvernement fédéral

 

Depuis 2006, la Stratégie High-Tech définit les grandes lignes de la politique de recherche et d’innovation en Allemagne. Le 3 septembre 2014, le gouvernement fédéral a présenté la dernière version de ce programme, baptisée « Nouvelle Stratégie High-Tech ». L’objectif de ce nouveau cadre stratégique est de faire de l’Allemagne l’un des champions mondiaux de l’innovation. L’accent y est particulièrement mis sur la recherche appliquée, la transparence et la participation des citoyens, pour rapprocher science et société. La Commission enjoint le gouvernement fédéral à mieux hiérarchiser les différents objectifs de la Nouvelle Stratégie High-Tech, en développant par exemple des dispositifs de soutien thématiques et ciblés.

 

– L’Agenda numérique du gouvernement fédéral

 

L’Agenda numérique 2014-2017 a pour but de faire de l’Allemagne un pays à la pointe sur les sujets relatifs au numérique. Il porte des objectifs ambitieux sur le développement des infrastructures numériques et des technologies d’avenir, la numérisation de l’industrie (industrie 4.0), la lutte contre l’espionnage, la sécurité sur internet, et l’utilisation des mégadonnées (Big Data) et du cloud. La Commission demande au gouvernement fédéral de concrétiser au plus vite l’objectif de couvrir la majeure partie du territoire allemand en internet à haut débit (50 Mbit/s). Elle suggère également de mener des actions fortes sur certaines thématiques stratégiques : industrie 4.0, administration numérique, protection des données personnelles…

 

– Le cadre réglementaire du capital-risque en Allemagne

 

La Commission constate que le capital-risque, essentiel pour le financement des jeunes entreprises innovantes, est bien moins développé en Allemagne qu’aux Etats-Unis, ou dans d’autres pays européens. Cette lacune pénalise le pays et sa capacité d’innovation. La Commission accueille donc favorablement la volonté du gouvernement fédéral de modifier la réglementation concernant le report de pertes. Elle formule également une série de propositions visant à ne pas décourager les investisseurs potentiels : non-taxation des bénéfices réalisés sur la vente d’actions « flottantes », ou encore pas d’augmentation de la taxation sur l’intéressement. La Commission presse également le gouvernement fédéral de mobiliser le Fonds européen d’investissement pour créer un fond finançant la croissance des start-ups allemandes.

 

Thèmes-clés

 

Quatre thèmes clés sont développés dans le rapport EFI cette année :

 

– Innovation et politique de clusters

 

La Commission s’est intéressée à la politique de clusters menée en Allemagne depuis 20 ans. De nombreux programmes existent, coordonnés par des acteurs divers (Etat fédéral ou Lander), mais les experts ont surtout analysé le programme des clusters de pointe (Spitzencluster) du Ministère fédéral de l’enseignement et de la recherche (BMBF). La Commission approuve le format de compétition choisi pour ce programme (trois appels à candidatures, cinq clusters sélectionnés par appel d’offres), et recommande de le décliner pour d’autres mesures. L’émulation liée au concours et les synergies de recherche entre PME et grands groupes ont en effet contribué à favoriser les capacités d’innovation du pays. Plus généralement, la Commission conseille aux Lander et au gouvernement fédéral de mieux harmoniser leurs initiatives, et de mettre davantage l’accent sur les politiques favorisant l’ouverture (clusters transrégionaux, programmes d’internationalisation…).

 

– Les MOOCs, une innovation dans le monde de l’enseignement

 

La Commission estime que les MOOCs (formations en ligne ouvertes à tous) représentent une chance pour l’enseignement supérieur en Allemagne. Pour les petites universités, elles offrent même l’opportunité de gagner en audience et en réputation. La Commission appelle les autorités allemandes à soutenir la création de MOOCs dans le pays, d’autant plus que l’Allemagne en propose actuellement moins que la plupart de ses voisins européens. Cette mise en place doit cependant être structurée (stratégie pédagogique, développement d’une plateforme centralisant l’offre, pas de compétition avec l’enseignement traditionnel…).

 

– Innovation numérique et droit d’auteur

 

L’essor des technologies numériques facilite le piratage des oeuvres littéraires, scientifiques et artistiques. Il réduit également le coût de la création et de la diffusion de ces oeuvres. La Commission constate que malgré les tentatives, le cadre légal ne parvient pas à s’adapter à ces mutations. Elle formule donc quelques recommandations, portant notamment sur la simplification de la législation régulant le droit d’auteur, les innovations à but non commercial portées par les utilisateurs, l’amélioration de l’accès aux découvertes scientifiques…

 

– Impression 3D et fabrication additive

 

L’impression 3D est une technologie disruptive, qui offre de nombreuses possibilités. L’Allemagne étant une nation industrielle, elle est concernée au premier chef par cette mutation, qui peut permettre de relocaliser certains centres de production dans le pays. La Commission formule plusieurs propositions, visant à exploiter toutes les opportunités offertes par l’impression 3D : soutien à des projets de recherche interdisciplinaires (croisant par exemple sciences des matériaux et nanotechnologies) et au transfert de technologie, clarification du cadre légal (droit d’auteur, normes, certifications…) entourant l’impression 3D, sensibilisation à cette discipline dans les parcours scolaires et universitaires…

 

Les réactions à la publication du rapport

 

Comme chaque année, la publication du rapport de la Commission EFI est l’un des temps forts de l’année scientifique en Allemagne. La Chancelière fédérale Angela Merkel a indiqué que comme chaque année, ce document représente « une base de travail importante » pour le gouvernement fédéral. Tout en se félicitant de toutes les réalisations indiquées dans le rapport elle a signifié sa volonté de continuer à faire de l’Allemagne l’un des champions du monde de l’innovation. Elle s’accorde notamment avec la Commission pour dire que l’objectif de 3% consacrés à la R&D est à dépasser, et qu’il faut que l’Allemagne se fixe un seuil plus important (en citant l’exemple la Corée du sud, premier pays au monde avec 4,4% en 2013).

 

La Ministre fédérale Johanna Wanka abonde dans ce sens, en rappelant les efforts budgétaires déjà consentis (15 milliards pour la R&D en 2015), et en rappelant les nouvelles marges de manoeuvre dont dispose le gouvernement fédéral pour financer la recherche et les universités allemandes.

[1] Le BAföG est une aide financière publique s’apparentant à une bourse sur critères sociaux combinée à un prêt étudiant. Son accès est ouvert à toute personne étudiant en Allemagne.

 

Pour en savoir plus, contacts :

 

– La version intégrale du « Rapport sur la recherche, l’innovation et la capacité technologique en Allemagne 2015 » de l’EFI est consultable en ligne (en allemand, version anglaise prévue à l’été) – http://www.e-fi.de/fileadmin/Gutachten_2015/EFI_Gutachten_2015.pdf
– Pour une synthèse du rapport 2014, voir « Publication de l’édition 2014 du rapport de la Commission d’experts pour la recherche et l’innovation (EFI) », BE Allemagne n°651 – 20/03/2014 – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/75445.htm

 

Sources :

 

– Participation du rédacteur à la conférence de présentation du rapport
– « Richtige Weichen bei Forschung », communiqué de presse de la Chancellerie fédérale – 25/02/2015 – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/5r9xg
– « Gutachter loben den Forschungsstandort Deutschland », communiqué de presse du BMBF – 25/02/2015 – http://www.bmbf.de/press/3742.php

 

Rédacteur :

Kenny Abbey, kenny.abbey@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr

 

Origine : BE Allemagne numéro 697 (1/04/2015) – Ambassade de France en Allemagne / ADIT – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/78243.htm