Rapport 2012 de la Commission d’experts pour la recherche et l’innovation

Mise en place en 2006 par décision du Bundestag, la commission EFI a pour mission d’évaluer la performance du système de recherche allemand dans sa globalité. Pour cela, elle analyse la capacité innovante et technologique du pays ainsi que les forces et faiblesses du système de recherche allemand. A partir de ses analyses, elle formule dans un rapport annuel remis publiquement à la Chancelière et à la ministre de la recherche des recommandations à destination des pouvoirs publics qui visent à optimiser les conditions de la R&D en Allemagne. Le contenu du rapport est également exposé devant les grands acteurs de la recherche publique (présidents d’organismes de recherche, universités…) et privée (fédérations industrielles).

 

Patrick Llerena, Professeur en sciences économiques de l’Université de Strasbourg et spécialiste reconnu dans le domaine de l’économie de l’innovation, est depuis décembre 2008 le seul membre étranger de la commission qui compte 6 experts issus du monde académique et de la recherche.

 

Le rapport 2012 place en toile de fond la situation allemande vis-à-vis de ses engagements européens en termes de recherche et d’innovation. Il constate que si l’Allemagne a atteint un résultat plus qu’honorable, avec 2,82% de son PIB consacrés à la R&D en 2010, celui-ci reste néanmoins en dessous de l’objectif des 3% formulé lors du Conseil européen de Lisbonne, que certains pays membres de l’Union européenne ont déjà dépassé. Toutefois, l’Allemagne est en bonne position pour parvenir à ce résultat dans les années à venir. De plus, la commission EFI considère que les 3% ne doivent pas être pris comme un but en soi : l’important est que le pays s’oriente par rapport au groupe à la pointe mondiale en matière d’intensité de R&D. La commission pointe également l’hétérogénéité des Etats membres de l’UE en la matière, malgré les efforts des fonds structurels européens pour aplanir ces différences, et le besoin de renforcer l’innovation et la productivité de tous au moyen de stratégies d’innovation nationales.

 

L’attractivité de l’Allemagne en tant que site de recherche et d’innovation est un point essentiel soulevé par la commission d’experts. La commission souligne que, dans un contexte de globalisation de la R&D, un cadre politique favorable à l’innovation est de plus en plus important afin d’inciter les entreprises à investir dans la R&D en Allemagne, ou au contraire afin d’éviter la délocalisation des activités de recherche. L’EFI recommande de poursuivre l’amélioration des conditions générales pour la recherche et l’innovation, et en particulier par l’adoption de mesures d’exonérations fiscales du type crédit d’impôt recherche, ce qu’elle recommandait déjà dans ses rapports précédents. Enfin, l’EFI note que la transition énergétique allemande décidée à l’été 2011 offre des perspectives intéressantes pour l’Allemagne dans le domaine des technologies de pointe, notamment dans le domaine de l’approvisionnement en énergie.

 

Dans ce contexte, la commission EFI a choisi de traiter dans son rapport 2012 cinq thèmes de façon approfondie, qui représentent autant de défis pour l’Allemagne en termes de politique de recherche :

 

 

¤ La recherche dans les établissements d’enseignement supérieur

 

Les établissements d’enseignement supérieur ont connu ces dernières années une série de réformes qui ont conduit à la mise en place de nouveaux programmes, tels que l’Initiative d’excellence, la compétition pour les clusters de pointe, le « Pacte 2020 pour l’enseignement supérieur ». Dans le même temps, et malgré l’augmentation du budget de la recherche au niveau fédéral, les universités ont dû faire face à une baisse de leurs financements de base, compensée depuis 2006 seulement par la croissance des financements tiers.

 

L’Initiative d’excellence a renforcé la différentiation du paysage universitaire allemand, tout en améliorant la visibilité internationale des universités soutenues. L’évolution est généralement positive mais la commission voit encore un besoin d’action dans les domaines suivants :

–       Corriger la réforme du fédéralisme de 2006 pour permettre au gouvernement fédéral de soutenir directement les universités placées sous tutelle exclusive des Länder, ce qui passe par la modification de l’article 91b de la Loi fondamentale allemande.

–       Renforcer le financement public des universités, afin de limiter le recours aux financements extérieurs, et faciliter le financement des fondations.

–       Professionnaliser les établissements d’enseignement supérieur pour qu’ils puissent jouir pleinement de leur autonomie, tout en libérant les chercheurs des contraintes administratives.

–       Agir contre la précarité des jeunes chercheurs : augmenter le nombre de postes de « professeurs juniors » (qui permettent aux jeunes docteurs d’avoir de l’autonomie et des responsabilités tôt dans leur carrière) et les compléter avec le modèle « Tenure-Track » (qui propose une perspective de d’emploi stable pour les jeunes chercheurs, avec système d’évaluation), ainsi qu’ouvrir davantage de chaires pour les chercheurs confirmés.

–       Poursuivre les initiatives qui ont émergé dans le cadre de l’Initiative d’excellence même après la fin de celle-ci, pour ne pas mettre en danger le succès de ces mesures sur le long terme, et explorer de nouveaux modèles de partenariats entre les établissements d’enseignement supérieur et les institutions de recherche extra-universitaires.

 

 

¤ Le manque de main d’œuvre qualifiée et son impact sur l’innovation

 

Le changement démographique et l’intensification de l’apport scientifique à l’économie posent de grands défis à l’Allemagne, de par le changement structurel du marché du travail pour les personnes qualifiées qu’ils induisent. Les secteurs économiques basés sur la croissance vont faire face à un manque de main d’œuvre qualifiée qui va aller en s’amplifiant. L’EFI recommande la mise en place de mesures pour répondre immédiatement à ces défis, en agissant sur la politique d’éducation pour adapter les qualifications aux demandes du marché du travail, en prenant des mesures pour que les entreprises conservent les employés seniors qualifiés, en prenant en compte le potentiel des inactifs, et en faisant évoluer la politique d’immigration pour répondre aux besoins des différents secteurs demandeurs.

 

En ce qui concerne la politique d’éducation, une attention particulière doit être portée à l’apprentissage et à l’amélioration de la flexibilité des formations, qui passe par l’instauration de nouvelles passerelles. Les établissements d’enseignement supérieur devraient également renforcer leur différentiation horizontale en prenant appui sur leurs avantages comparatifs, et améliorer l’attractivité des cursus qui viennent en soutien à la croissance et à l’innovation, tels que les sciences de l’ingénieur.

 

L’EFI recommande également de mieux intégrer les personnes issues de l’immigration à tous les niveaux de qualification. Le gouvernement devrait agir en faveur de la reconnaissance des diplômes, et encourager le démarchage des meilleurs diplômés étrangers. Le potentiel des femmes qui ne sont pas sur le marché du travail devrait aussi être mieux exploité, en améliorant les mesures de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (améliorer la prise en charge des jeunes enfants, permettre une meilleure implication des hommes dans la vie familiale…). Les mesures qui encouragent les femmes à rester chez elles pour s’occuper de leurs enfants, telles que l’allocation parentale d’éducation, en cours de planification, ont un effet négatif sur le potentiel d’innovation de l’Allemagne.

 

 

¤ La croissance des jeunes entreprises

 

Le nombre de créations de nouvelles entreprises en Allemagne est relativement faible en comparaison avec d’autres pays. Cela est dû notamment aux difficultés de financement que rencontrent les jeunes entreprises allemandes. L’EFI propose des mesures pour améliorer cet état de fait : l’introduction de la forme juridique de la société européenne, qui permet un même cadre juridique pour les entreprises dans tous les Etats membres de l’UE ; une modification du droit allemand de la faillite pour faciliter le redressement des entreprises en difficulté ; des incitations juridiques et fiscales pour promouvoir le capital-risque.

 

 

¤ Impact économique du soutien public à la R&D

 

Au cours des dix dernières années, de nombreux pays ont contribué au renforcement de la R&D dans le secteur privé grâce à des mesures étatiques de financement. Ces mesures concernent en particulier les incitations fiscales (crédit d’impôt recherche), forme de soutien à laquelle l’Allemagne n’a jusqu’à présent jamais eu recours. L’EFI suggère l’introduction de telles mesures en Allemagne, afin de faciliter la réalisation de projets de R&D par les PME.

 

Plus largement, l’EFI recommande une évaluation générale de la politique allemande en matière de recherche et d’innovation selon des critères scientifiques pour déterminer quelles mesures ont eu le plus d’effet.

 

 

¤ Le défi posé par la Chine

 

La commission constate que la Chine est devenue l’une des premières nations au niveau mondial en ce qui concerne ses capacités économiques et scientifiques. Le gouvernement chinois poursuit une stratégie d’innovation offensive pour positionner le pays en tant que leader dans le domaine de l’innovation d’ici à 2020. En particulier, la Chine est de plus en plus présente dans des domaines de compétences qui ont traditionnellement une grande place en Allemagne. Cela pose des difficultés aux entreprises allemandes pour plusieurs raisons, entre autres car la Chine conditionne l’accès à son marché intérieur pour les entreprises étrangères à l’installation sur son territoire d’une partie de la production et de la R&D. De plus, elles sont handicapées par les faiblesses du droit de la propriété intellectuelle en Chine.

 

L’EFI suggère que la poursuite de la coopération germano-chinoise dans l’intérêt mutuel des deux parties doit être conditionnée à un rééquilibrage : réforme du droit chinois de la propriété intellectuelle ; développement de normes et de standards scientifiques ; attention spéciale pour la sphère asiatique dans les formations scientifiques, économiques et juridiques allemandes. Le gouvernement allemand devrait également être plus réactif par rapport aux défis posés par la Chine. Enfin, l’EFI évalue que le marché de l’électromobilité sera essentiellement chinois et non allemand. Elle note cependant que l’Allemagne pourrait se positionner en tant que fournisseur de technologies sur ce marché, et pour ce faire, recommande de développer une stratégie allemande spécifique pour l’électromobilité.

 

 

Commentaire :

 

En se limitant à un nombre restreint de thèmes particulièrement saillants, la commission est en mesure de réaliser une analyse détaillée d’aspects précis du système de recherche allemand, sur lesquels elle formule une série de recommandations présentées aux plus hauts responsables politiques, institutionnels et industriels, conformément à une approche empreinte de transparence spécifique à l’Allemagne.

 

Une des recommandations du rapport 2012, à savoir la levée de l’interdiction de coopération entre le gouvernement fédéral et les Länder dans le financement institutionnel des établissements d’enseignement supérieur, a été suivie d’effet : la coalition au pouvoir a annoncé le 4 mars la volonté de proposer en conseil des ministres un texte de loi pour modifier la Loi fondamentale (Grundgezetz) en ce sens d’ici l’été. Par ailleurs, il est d’usage que le BMBF réponde aux prises de position de la Commission EFI dans son rapport bisannuel sur l’état de la recherche publique allemande, le prochain devant paraître d’ici l’été 2012.

 

Le rapport 2012 de l’EFI se replace dans la continuité directe des initiatives du gouvernement fédéral de ces dernières années, telles que l’Initiative d’excellence, le Pacte 2020 pour l’enseignement supérieur (TD Berlin 2011-766), ou la compétition sur les clusters de pointe (TD Berlin 2012-57), qui visent à renforcer l’attractivité de l’Allemagne en tant que site privilégié de recherche et d’innovation. Il identifie précisément les goulets d’étranglement actuels (manque de main d’œuvre qualifiée qui fait actuellement l’objet d’un affrontement politique sur l’exactitude de son ampleur, lacunes dans le financement des jeunes entreprises innovantes…) et potentiels (inquiétude sur les possibilités de financement à long terme de la recherche d’excellence dans les universités…) qui pourraient porter tort à celle-ci. Toujours dans la même perspective, l’EFI a analysé les risques et les opportunités créées par l’affirmation de la Chine en tant qu’acteur majeur dans le domaine de l’innovation, et notamment dans les nombreux domaines où elle rentre (ou rentrera) en concurrence directe avec l’Allemagne.

 

Enfin, il est important de signaler la présence d’un Français parmi les 6 experts qui composent la commission. Le Pr. Patrick Llerena, spécialiste de l’économie de l’innovation et professeur à l’université de Strasbourg a pu acquérir, à travers sa présence dans la commission, une connaissance parfaite du système de recherche allemand et de ses ressorts. M. Llerena quittera ses fonctions en 2013 à l’issue de la période réglementaire de 4 ans.

 

Rédactrice : Elodie Parisot