Le changement de phase des matériaux DVD décrypté par le super ordinateur

Nous utilisons les DVD dans la vie quotidienne, pour sauvegarder des films ou autres données. Pourtant, les fondements physiques de sauvegarde des données sur ces disques ne sont pas encore totalement élucidés. Un groupe de chercheurs du centre de recherche de Jülich (Rhénanie du Nord Westphalie), de Finlande et du Japon décrit dans la revue scientifique « Nature materials » le processus de transition de phase qui se produit lors du gravage d’un DVD [1,2]. Ces résultats pourraient amener à développer des matériaux de stockage toujours plus performants.

 

 

L’information d’un DVD est sauvegardée sous forme de bits (dont la taille ne dépasse guère 100 nm) dans une fine couche composée d’un alliage polycristallin constitué de plusieurs éléments chimiques. Cet alliage possède soit une structure amorphe, soit cristalline. La transition entre ces deux phases ne prend que quelques nanosecondes, et est induite par une impulsion laser. Les alliages courants pour les matériaux de stockage comme par exemple les DVD-RAM ou les Blue-ray sont constitués de germanium (Ge), d’antimoine (Sb) et de tellure (Te). Ces alliages sont ainsi nommés GST d’après les premières lettres des composants. Le matériau de stockage utilisé pour le DVD-RW est l’alliage AIST, qui contient une petite quantité d’argent (Ag) et d’indium (In) ainsi que l’antimoine et le tellure.

 

« Bien que les deux familles d’alliage contiennent de l’antimoine et du tellure et sont semblables en apparence, leur transition de phase est très différente », explique Robert Jones, du centre de recherche de Jülich, qui travaille sur le sujet dans une équipe internationale. Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont utilisé les données expérimentales et les spectres de rayons X obtenus grâce au synchrotron japonais « Spring-8 » ainsi que des simulations soutenues du superordinateur JUGENE de Jülich [3,4]. Il a été possible avec ces deux méthodes de déterminer les structures des deux phases de l’AIST et de développer un modèle pour la transition de phase rapide.

 

La transition de phase dans le cas de l’alliage AIST se produit de l’extérieur vers l’intérieur. Ainsi, le bit grandit à partir du bord, où il côtoie l’environnement cristallin, vers l’intérieur. Les chercheurs expliquent ce phénomène par un « modèle d’échange de liaison ». Dans ce modèle, la réorganisation locale du bit amorphe par un petit mouvement de l’atome d’antimoine est capitale (voir illustration). Par de nombreux mouvements de faible amplitude, les atomes s’alignent l’un après l’autre et le réseau cristallise ainsi sans que des espaces vides ou des mouvements importants soient nécessaires. En substance, les atomes d’antimoine ont changé seulement la force de la liaison entre deux atomes voisins, d’où le nom de « modèle d’échange de liaison ».

 

L’équipe de recherche avait déjà retracé, dans le cadre de travaux antérieurs, le processus de transition dans le cas de l’alliage GST [5]. Dans le cas de la transition de phase de l’alliage GST, le bit cristallise par nucléation. Des germes cristallins se forment spontanément au centre, ceux-ci croient rapidement jusqu’à ce que le bit soit complet. La transition rapide s’explique par le fait que les phases amorphe et cristalline sont constituées toutes deux de la même structure, suivant les anneaux ABAB. Ces anneaux quadrangulaires composés de deux atomes de germanium ou d’antimoine et de deux atomes de tellure peuvent se déplacer dans les espaces vides présents et s’arranger sans rompre beaucoup de liaisons atomiques.

 

Le calcul de l’alliage AIST est le plus important qui n’ait jamais été réalisé dans le domaine de la recherche. Environ 640 atomes ont été simulés pendant un temps comparativement long de plusieurs centaines de picosecondes, afin d’obtenir la précision nécessaire. Environ 400 processeurs du superordinateur JUGENE du centre de recherche de Jülich ont été utilisés pendant quatre mois pour déterminer les conditions exactes du modèle. Outre une capacité de calcul pure, des connaissances établies en calcul scientifique ainsi qu’en modelisation de physique du solide sont nécessaires. « Le centre de recherche de Jülich est bien un des rares endroits où ces trois aspects se recoupent » se réjouit Jones.

 

La compréhension théorique et profonde des processus de gravage de DVD peut aider à développer de manière ciblée de meilleurs matériaux à transition de phase, des moyens de stockage de plus grande capacité ou dont la durée de conservation des données est plus longue, ou à permettre un temps d’accès à l’information réduit.


Pour en savoir plus, contacts :


  • [2] « From local structure to nanosecond recrystallization dynamics in AgInSbTe phase-change materials »,Toshiyuki Matsunaga, Jaakko Akola, Shinji Kohara, Tetsuo Honma, Keisuke Kobayashi, Eiji Ikenaga, Robert O. Jones, Noboru Yamada, Masaki Takata & Rie Kojima (doi:10.1038/nmat2931) – http://www.nature.com/nmat/journal/vaop/ncurrent/full/nmat2931.html
  • [5] « Experimentally constrained density-fonctional calculations of the amorphous structure of the prototypical phase-change material Ge2Sb2Te5 » – DOI: 10.1103/PhysRevB.80.020201 – http://prb.aps.org/abstract/PRB/v80/i2/e020201

Source :

Communiqué du Centre de recherche de Jülich (FZJ) – 9/01/2011 – http://www.fz-juelich.de/portal/index.php?cmd=show&mid=809&index=163

Rédacteur :

Céline Pitsaer, Chargée de Mission Scientifique à Bonn, pitsaer@afast-dfgwt.eu