Recherche franco-allemande au Pôle Nord : compte-rendu du séminaire « Gateway to the Arctic »

L’atelier franco-allemand qui s’est déroulé du 17 au 19 octobre 2012 à l’Institut Alfred Wegener (AWI) de Bremerhaven (Brême) a réuni près de quarante chercheurs, doctorants et étudiants de domaines variés, allant de la littérature à la géoscience en passant par l’ergonomie, et ayant le cercle polaire arctique comme point commun. Cet atelier avait pour sujet « Lorsque les sciences sociales rencontrent les sciences naturelles », avec pour régions à l’honneur la Sibérie et l’Alaska.

 


Présentation des posters des travaux en cours en Allemagne et en France
Crédits : Clément Guyot – SST Ambassade de France à Berlin

 

Cet événement franco-allemand se déroulait dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de la signature du traité de l’Elysée. Les liens entre les deux pays étaient ici mis en évidence par la coopération entre l’AWI, l’Institut Polaire Paul Emile Victor (IPEV) et le Centre Européen pour l’Arctique (CEARC) de l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines. Les participants étaient majoritairement français et allemands, mais de nombreuses universités étrangères étaient également représentées.
L’Institut Alfred Wegener

L’Institut Alfred Wegener pour la recherche marine et polaire fait partie des centres de la Communauté Helmholtz. Il effectue des recherches dans l’Arctique et l’Antarctique ainsi que dans les océans de haute latitude. L’institut coordonne la recherche polaire allemande et met à disposition ses infrastructures pour des projets scientifiques nationaux et internationaux. A titre d’exemple, le navire brise-glace « Polarstern » et les stations de recherche sont régulièrement partagés avec des chercheurs français. Par ailleurs, un nouveau brise-glace sera construit et viendra compléter la flotte de cinq bateaux de recherche. Une nouvelle station, Neumayer 3e génération, est également en place en Antarctique depuis 2009.
L’Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV)

L’Institut polaire français Paul Emile Victor est un Groupement d’Intérêt Public (GIP) constitué par neuf organismes publics ou parapublics (Ministère de la recherche, Ministère des affaires étrangères, CNRS, Ifremer, CEA, TAAF, Météo-France, CNES, Expéditions Polaires Françaises). L’IPEV est une agence de moyens et de compétences au service des laboratoires nationaux rattachés à des structures dont la vocation est la recherche scientifique : universités, CNRS, CEA, INRA. L’organisme n’effectue pas de recherche scientifique directe, mais organise les missions de terrain. « Nous sommes la partie immergée de l’iceberg, nous assurons financement, coordination et logistique afin que les scientifiques puissent recueillir les données les plus fiables possibles » a souligné le directeur Yves Frenot. En 2011-2012, 87 projets internationaux ont été menés, dont 30% en Arctique et le reste en Antarctique. En 2012, l’Arctique a été le sujet de huit projets de science géophysiques, neuf projets de sciences naturelles et six projets en sciences sociales.
Exemple de coopération IPEV-AWI

L’Allemagne et la France possèdent une base de recherche commune dénommée AWIPEV, située à Ny-Alesund 79°N sur les îles Spitzberg (Norvège). La coopération a été officialisée en 2003 mais certaines infrastructures existent depuis 1991. Il s’agit d’une base pour la recherche fondamentale en sciences de l’environnement. Par exemple, les données qui y sont récoltées quotidiennement servent à suivre les changements dans la composition de l’atmosphère. La coopération concerne également la mise en commun de vaisseaux, notamment par l’intermédiaire du réseau Eurofleet [1].
Centre Européen pour l’Arctique (CEARC)

Dirigé par le professeur Jan Borm, le CEARC assure, depuis sa création en 2009, des missions de recherche, d’observation, de formation et de diffusion des savoirs sur les territoires et les sociétés arctiques, intégrant la culture de celles-ci et les enjeux actuels du Pôle Nord. Le CEARC approche l’Arctique comme un terrain de recherche fondamentale et une expérience sociétale. L’interdisciplinarité est le mot d’ordre pour une recherche appliquée. Aussi, le centre propose un master « Arctic Studies » avec deux choix d’orientation : sciences naturelles ou sciences humaines. Il s’agit d’un programme ambitieux dont l’objectif est de former les futurs décideurs politiques et experts de l’Arctique tout en offrant aux étudiants la connaissance des principaux enjeux de cette région qui joue aujourd’hui un rôle clé dans la géopolitique mondiale.
Travaux en cours des chercheurs

Le séminaire ayant fortement mis un accent sur l’interdisciplinarité, les travaux présentés couvraient un large panel de sujets : la qualité de l’air, la vie des peuples d’Alaska, la pollution locale des écosystèmes, la variation des taux de mercure aux embouchures des fleuves, l’évolution des glaciers sur les îles Spitzberg, la perceptions des changements climatiques par les populations nomades Tungus, l’état du pergélisol, les conséquences des changements climatiques pour l’exploitation du gaz en Russie, la perception européenne du Grand Nord en littérature, les naturalistes et la philosophie, les conséquences de l’ouverture de nouvelles voies maritimes, etc. [2] Certains projets présentés tels qu’ACCESS [3] incluent eux même l’interdisciplinarité dans leur cahier des charges. En effet, ACCESS est issu des programmes de la Commission européenne et vise l’étude des conséquences des changements climatiques sur la pêche, le transport maritime, les mammifères marins, l’exploitation des hydrocarbures et les questions de gouvernance en intégrant les populations indigènes.
Opportunités

Karin Lochte, directrice de l’Institut Alfred Wegener, a insisté sur le désir de l’AWI de vouloir partager son matériel (bateaux, avions, etc.), ses locaux (logements, laboratoires, dont un atelier maintenu à -20°c pour l’étude des carottes de glace) et tous les équipements qui s’y trouvent. Les archives et les données sont également mises à disposition des chercheurs du monde entier [4]. Cependant, les expéditions à bord du Polarstern doivent être planifiées plusieurs années à l’avance et l’agenda des campagnes est déjà rempli jusqu’en 2015.
Conclusion

La grande majorité des travaux de recherches en Arctique incluent directement ou indirectement les changements climatiques et leurs conséquences sur les écosystèmes marins et les cycles d’éléments chimiques.
Les sciences sociales ont été mises en avant lors des workshops. En effet, la Sibérie est souvent perçue comme un territoire glacé et dépeuplé, or des centaines de peuples différents y vivent depuis plusieurs générations. La plupart d’entre eux sont nomades, tels que les éleveurs de rennes. Certains ont clairement noté une évolution, dénommée « changements climatiques » par la communauté internationale, sans pour autant s’interroger sur la cause de ces perturbations. Ils adaptent leur manière de vivre au rythme de la nature, comme ils l’ont toujours réalisé et n’en subissent aujourd’hui apparemment pas de lourdes conséquences. De leur point de vue, les plus grandes tragédies sont plutôt de nature sociale, et sont le résultat d’une intégration forcée avec un éloignement de leur mode de vie traditionnel (interdiction de parler leur propre langue, de pratiquer leurs rites, persécution des chamans) [5]. De manière générale, les travaux en anthropologie peuvent être soutenus par le Fonds Louis Dumont, via la FMSH [6].
Par le passé, les chercheurs impliqués dans les zones polaires se sont régulièrement rencontrés au cours de séminaires dédiés. Aujourd’hui le constat est que les membres de la communauté scientifique polaire ne se connaissent que trop peu, d’où l’intérêt d’événements comme cet atelier à l’AWI de Bremerhaven. Il a donc été décidé d’annualiser le rendez-vous : le prochain atelier franco-allemand, organisé cette fois-ci par l’IPEV, se tiendra à l’automne 2013 à Brest.

 

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] Eurofleet, projet d’alliance pour la mise en commun des navires de recherche européens, http://www.eurofleets.eu/np4/home.html
– [2] La liste complète des travaux des étudiants et leur poster associé peuvent être demandés à Renate Treffeisen, de l’AWI (voir contact ci-après)
– [3] ACCESS : Projet interdisciplinaire de la Commission européenne en arctique http://www.access-eu.org/
– [4] Pour connaître la liste complète des installations et équipements de l’AWI disponibles : http://www.awi.de/en/infrastructure/ (en anglais)
– [5] Information recueillie grâce à la présence de la chercheuse Roza Laptander, elle-même membre du peuple sibérien des Nénètses.
– [6] FMSH, la Fondation Maison des Sciences de l’Homme, Fonds Louis Dumont : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/gYk9S
– Pour plus d’information sur les différents organismes représentés à la conférence :
* IPEV : http://www.institut-polaire.fr/
* AWI : http://www.awi.de/en/home/ (en anglais), http://www.klimabuero-polarmeer.de
* CEARC: http://www.uvsq.fr/centre-europeen-arctique-cearc–63241.kjsp
– Dr. Renate Treffeisen, Bureau du climat pour les régions polaires et la montée du niveau des mers, Institut Alfred Wegener de Bremerhaven – tél. : + 49 471 4831 2145 – email : renate.treffeisen@awi.de
– Prof. Dr. Karin Lochte, directrice, Institut Alfred Wegener – tél. : +494 71 48 31 0 – email : karin.lochte@awi.de
– Yves Frénot, directeur, Institut Polaire Paul-Emile Victor – tél. : +332 98 05 65 00 – email : yves.frenot@ipev.fr
– Jan Borm, Centre Européen pour l’Arctique – tél. : + 331 80 28 55 09 – email : jan.borm@uvsq.fr

 

Sources :

Participation au séminaire franco-allemand sur la recherche en Arctique « Gateway to the Artic » – Institut Alfred Wegener, Bremerhaven – 17/10/2012 au 19/10/2012 – http://redirectix.bulletins-electroniques.com/7BUoz

 

Rédacteurs :

Clément Guyot, clement.guyot@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr