Les défis soulevés par les technologies OMICs en Allemagne

 

L’essor des technologies de l’information et des communications (TIC) entraîne l’émergence d’une nouvelle approche des sciences de la vie. L’utilisation des techniques du Big Data (données massives) dans ce domaine permet par exemple aux scientifiques de collecter des informations inédites sur les gènes, protéines et produits métaboliques. Cependant, seule une partie des informations récoltées est aujourd’hui exploitable.

L’expression « technologies OMICs » renvoie à la partie de la biologie se référant aux champs d’études en « -omique » (protéomique, génomique, transcriptomique, métabolomique). Ces disciplines sont profondément liées au développement des TIC, qui ouvre de nouvelles possibilités à la recherche biologique. Les enjeux liés à ces programmes sont importants : découverte de nouveaux traitements médicaux, amélioration d’espèces et variétés agricoles, préservation de la biodiversité…

A l’occasion de la publication d’un rapport sur l’avenir des sciences de la vie, l’Académie nationale allemande des sciences Leopoldina s’est penchée sur les défis que pose cette évolution pour la recherche et l’enseignement en Allemagne.

1. Constat : les faiblesses structurelles de la recherche en sciences de la vie en Allemagne

Dans un premier temps, l’Académie Leopoldina a constaté que :

– Seuls les organismes de recherche extra-universitaires peuvent bénéficier d’aides fédérales, leur permettant de construire et entretenir de grandes infrastructures de recherche. Les universités allemandes sont dans l’incapacité de financer de telles installations. En effet, l’article 91b de la Grundgesetz (Constitution allemande) fixe strictement la répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les Lander dans le financement de la recherche publique. Ce financement échoit prioritairement aux Lander, le gouvernement fédéral ne pouvant intervenir qu’en soutien à des projets ponctuels.

– Les Lander ne peuvent supporter seuls le coût des investissements nécessaires pour le développement des technologies OMICs.

– Les exigences requises pour un traitement adéquat des données sont sous-estimées, notamment par rapport à la quantité de données à extraire. Les postes de chercheurs nécessaires au traitement de ces données (biologistes, bio-informaticiens…) ne sont pas pourvus, et la formation à ces métiers fait parfois défaut.

– Une stratégie nationale permettant de développer dans la durée les technologies OMICs en Allemagne est à mettre à place.

2. Recommandations : favoriser le développement des OMICs et des TIC en Allemagne

L’Académie a donc rédigé six recommandations, visant à encourager le développement des OMICs en Allemagne :

– Recommandation 1 : Développer une infrastructure nationale pour les OMICs et TIC
Seul le développement d’une infrastructure nationale de soutien aux technologies OMICs et aux TIC pourrait permettre à l’Allemagne de rester compétitive sur cette question. Dans ce but, un réseau de centres répartis sur le territoire assurant la coordination de la recherche et de la formation, mais aussi le transfert rapide des nouvelles connaissances, devra être mis en place.

– Recommandation 2 : Favoriser les synergies entre structures de recherche
Ce réseau devra permettre de rapprocher les universités et les organismes de recherche non universitaire, afin d’assurer une meilleure mutualisation des moyens et un meilleur accès de tous les scientifiques aux dernières technologies.

– Recommandation 3 : Harmoniser les standards des OMICs
Afin d’assurer un traitement optimal des données OMICs, des normes devront être établies pour faciliter le recueil, le traitement, la qualité et le stockage des informations extraites. Ces normes pourraient être établies selon des standards européens ou internationaux.

– Recommandation 4 : Assurer des financements pérennes
L’objectif étant de développer la recherche autour de ces technologies sur le long terme en Allemagne, les moyens accordés à ce réseau devront être pérennes, et pour cela être accordés sur des fonds fédéraux.

– Recommandation 5 : Développer la formation et la qualification des chercheurs
La formation, et la mise en place de cursus adaptés à ces nouveaux domaines de recherches, à la frontière entre l’informatique, les mathématiques et la biologie, devra être encouragée. Une sensibilisation aux enjeux des OMICs pourrait, pour cela, être proposée dans les cursus de sciences de la vie, dès les premières années d’études.

– Recommandation 6 : Promouvoir ces carrières auprès des jeunes chercheurs
Afin de répondre aux besoins en personnels dans ce champ de recherche, il faudra promouvoir et améliorer la lisibilité des carrières et des métiers qui y sont liés.

3. Scénarios : quels plans d’actions pour conduire cette politique ?

Le rapport de l’Académie Leopoldina propose deux scénarios, permettant de préfigurer la mise en place concrète de ces recommandations :

– Scénario 1 : un modèle basé autour de la DFG

L’Agence allemande de moyens pour la recherche (DFG) est le principal outil de soutien aux projets de la recherche universitaire en Allemagne. Elle intervient en appui à toutes les disciplines dans quatre grands secteurs, le premier étant les sciences de la vie et la médecine (38,7% des projets).
Le premier scénario envisage une infrastructure totalement mise en place et gérée par la DFG. Celle-ci a donc la tâche de gérer l’infrastructure nationale de soutien aux technologies OMICs. Selon ce scénario, une commission sur les technologies à haut-débit et en bio-informatique s’occupe de la gestion des instituts de recherche dédiés, en coopération avec les centres de recherche universitaires et extra-universitaires.

– Scénario 2 : le modèle suisse

Ce scénario s’inspire du modèle développé en Suisse, autour de l’Institut suisse de bio-informatique (SIB). Dans ce cas de figure, le développement et la gestion du réseau national se réalisent autour d’une institution ad-hoc, organisation autonome juridiquement et financièrement, et spécifiquement dédiée à cette tâche.
Le SIB a en effet été créé en 1998 pour « coordonner la recherche et la formation en bio-informatique en Suisse, et fournir des services et des infrastructures de premier ordre aux chercheurs du pays » [1]. Il fédère pour cela les groupes de recherche en bio-informatique d’universités et d’organismes de recherche. Au total, 52 groupes de recherche, rassemblant plus de 650 chercheurs dans sept villes du pays, sont réunis au sein de cette structure.
Il dispose par ailleurs de ressources (bases de données, logiciels, serveurs) qu’il met à la disposition des chercheurs suisses et internationaux. Enfin, il joue le rôle d’interface commune pour les différents centres, lors de discussions avec des industriels et des partenaires européens ou internationaux.

Pour en savoir plus, contacts :

[1] Voir site du SIB : http://www.isb-sib.ch/

Sources :

– Rapport de l’Académie des sciences Leopoldina « Zukunftsreport Wissenschaft – Lebenswissenschaften im Umbruch » (version intégrale, en allemand) : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/XjXfq
– Recommandations et résumé du rapport de l’Académie des sciences Leopoldina (en allemand) : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/P1B3F
– Participation de l’un des rédacteurs à la conférence de présentation du rapport.

Rédacteurs :

– Kenny Abbey, kenny.abbey@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr
– Louis Thiebault, louis.thiebault@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr