Coopération dans le domaine de la recherche – Discours de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche (Paris, 08/12/2014)

Je suis très heureuse de pouvoir ouvrir avec vous ce 5ème forum de la coopération franco-allemande en recherche. Organisé tous les trois ans depuis 2002, ce forum est l’événement phare de notre coopération dans le domaine de la recherche, et je me réjouis qu’il prenne cette année un format novateur, en réunissant à Paris une centaine de responsables de haut niveau de nos deux pays.

La France et l’Allemagne sont deux leaders de la recherche et de l’innovation en Europe

Cette coopération est essentielle, compte tenu du poids de nos deux pays dans la recherche européenne et mondiale. Mme Johanna Wanka, ministre fédérale allemande de l’Éducation et de la Recherche, évoquera tout à l’heure les politiques allemandes en ce domaine.

Je voudrais pour ma part rappeler que la France peut se féliciter de l’excellence de sa recherche, dans des domaines très variés. Notre pays est au 6ème rang mondial pour les publications scientifiques, le CNRS est le premier publiant scientifique mondial. Depuis le lancement du premier forum de coopération franco-allemande en recherche, il y a 12 ans, la recherche française a été couronnée (entre autres !) de 4 médailles Fields et de 8 prix Nobel ! Je serai d’ailleurs à Stockholm jeudi prochain pour représenter le gouvernement à l’occasion de la remise de deux prix Nobel : l’un en économie pour Jean Tirole, l’autre à Patrick Modiano, pour la littérature.

De son côté, l’Allemagne réunit chaque année à Lindau ses nombreux prix Nobel. Mais, face aux pays émergents, je pense en particulier à la Chine, c’est bien en unissant leurs forces que la France et l’Allemagne pourront continuer à figurer aux premiers rangs de la recherche mondiale. Ensemble, nos deux pays représentent plus de 50 % des dépenses européennes consacrées à la recherche, et 10 % des dépenses mondiales.

Le principe des coopérations franco-allemandes en matière de recherche était déjà inscrit dans le traité de l’Élysée de 1963, et il a été fortement réaffirmé à l’occasion du 50ème anniversaire du traité en janvier 2013. Ces coopérations sont déjà nombreuses et concernent de nombreux domaines. L’Allemagne est le second partenaire de la France pour les publications, avec près de 20 % des publications françaises, et la France est le 3ème partenaire de l’Allemagne. Cela équivaut à 20 publications par jour ! Les partenariats sont très nombreux en physique et en astronomie, en particulier grâce à une implication forte de nos deux pays autour de projets structurants encouragés par la recherche menée au sein des grands instruments européens et internationaux, comme l’Institut Lauë Langevin à Grenoble avec un réacteur à haut flux pour la neutronique, bien connu de la physicienne aujourd’hui chancelière Angela Merkel.

La coopération est aussi importante dans les sciences humaines et sociales, les sciences de la vie et biomédicales, les sciences de la Terre et de l’environnement, l’énergie, les mathématiques fondamentales et appliquées.

C’est aussi un partenariat franco-allemand, entre l’Institut de l’énergie solaire du CEA/Liten et la société Soïtec d’une part et l’Institut Fraunhofer pour les systèmes énergétiques solaires d’autre part, qui a permis de développer la cellule photovoltaïque la plus efficace du monde, qui, vous le savez sans doute, a battu il y a quelques jours un nouveau record mondial de rendement, pour la conversion de l’énergie solaire en énergie électrique.

Et puis, comment ne pas évoquer la politique spatiale développée par l’Agence spatiale européenne avec constance et succès depuis 50 ans. Basée sur un socle franco-allemand, nos deux pays assurant 50 % de ses investissements, elle a connu récemment deux grandes réussites qui nous ont valu les félicitations du monde entier et même de la Nasa. Tout d’abord, l’atterrissage du petit robot Philae sur la comète Tchouri, à 520 millions de kms de la terre, grâce à la sonde Rosetta, avec à la clef des données qui vont permettre à nos scientifiques de mieux comprendre la formation du système solaire et l’apparition de la vie. Cet exploit scientifique et technologique a été vécu en direct par les chercheurs et ingénieurs de Toulouse, Paris et Darmstadt, avec une émotion et un enthousiasme partagé par le grand public.

Second succès, la semaine dernière, avec la décision commune à tous les États membres de l’ESA, portée par un accord franco-allemand, de réaliser ensemble, d’ici 2020 un nouveau lanceur pour nos satellites, Ariane 6 afin de préserver l’avenir de la filière dans un contexte très compétitif.

J’évoquerai brièvement le bilan de la feuille de route que nos deux pays s’étaient fixée en 2012 dans quatre domaines : les sciences humaines et sociales, les matières premières, l’environnement et la santé, avant d’aborder celle que nous engageons pour les deux années à venir.

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, tout d’abord, je veux me réjouir avec vous de la réussite du projet «Saisir l’Europe» qui a été lancé officiellement lors de la semaine franco- allemande de la science et des alumni à Paris le 15 avril 2013. Coordonné par le Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne et le Centre Marc Bloch, ce projet contribue à repenser l’Europe, les sociétés qui la composent, en y intégrant les jeunes chercheurs grâce à des contrats doctoraux. Toutes ces études, à dimension politique, scientifique, économique, sociétale et culturelle contribuent à construire la compréhension, la cohésion et les liens dont l’Europe a tant besoin.

Dans le domaine des matières premières non énergétiques, de nombreux partenariats se sont développés, dans des réseaux européens, via l’Institut européen de technologie dont la communauté pour la connaissance et l’innovation sera lancée d’ici peu ou dans un cadre bilatéral, avec des appels d’offres communs entre l’Agence nationale de la recherche et la BMBF.

Dans le domaine de l’environnement, je me félicite des collaborations en cours qui vont permettre à nos deux pays de contribuer ensemble à la conférence sur le climat, COP 21, organisée à Paris dans un an, qui doit aboutir à un accord international pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et tenter de ne pas dépasser un réchauffement de 2°C en 2050.

Nous savons que la tendance actuelle nous amènerait à un réchauffement de plus de 4°C, générateur de catastrophes irréversibles. L’apport de la science, de la recherche technologique sont indispensables pour infléchir cette tendance et nous ramener à un objectif de 2°C. Il en va tout simplement de la survie de la planète.

Dans le domaine de la santé et des biotechnologies, nos deux pays ont déjà amélioré la qualité et l’efficacité de leur recherche grâce à une coopération scientifique renforcée des équipes cliniques et de recherche notamment dans des domaines d’intérêt majeur comme le cancer, le diabète, les maladies neurodégénératives, avec une mutualisation des cohortes suivies, la mise en place de plateformes techniques communes.

Les échanges de données seront facilités par l’harmonisation des protocoles et méthodes, qui reste un grand chantier à développer ensemble.

La recherche et l’enseignement supérieur sont des priorités pour la France

Avant d’aborder la feuille de route 2014-2016, je voudrais rappeler en quelques mots la stratégie de la recherche menée par notre pays. La France veut réaffirmer devant vous son engagement fort en faveur de la recherche. Le président de la République a eu à de nombreuses reprises l’occasion de l’exprimer : la recherche est une priorité pour notre gouvernement. C’est pour cela que son budget a été sanctuarisé, dans un contexte d’économies budgétaires marquées, par ailleurs nécessaires.

La loi ESR du 22 juillet 2013 a marqué nos ambitions, en liant pour la première fois enseignement supérieur et recherche, et en inscrivant dans les textes les regroupements d’établissements, qui allient formation et recherche universitaire et celle menée par les organismes, au premier rang desquels le C.N.R.S.

Elle a aussi posé, dans son article 15, le principe d’une Stratégie nationale de l’enseignement Supérieur (Stranes), et d’une Stratégie nationale de la recherche (SNR), à l’image de ce qui se fait en Allemagne.

La SNR est élaborée en cohérence avec la stratégie européenne de la recherche : l’enjeu est de permettre à la recherche française, dans toute sa diversité, de mieux répondre à chacun des grands défis scientifiques, technologiques, économiques et sociétaux des décennies à venir, identifiés dans l’Agenda stratégique France Europe 2020, présenté le 21 mai 2013, à l’occasion de la présentation en France du programme Horizon 2020.

La santé, la sécurité alimentaire, la gestion sobre des ressources, la lutte contre le dérèglement climatique, la transition énergétique, la mobilité et les systèmes urbains durables, le développement de l’économie numérique et des technologies spatiales, sont des thèmes de la Stratégie nationale pour la recherche que vous allez aborder aujourd’hui dans les tables-rondes. Pour répondre à ces défis majeurs, il est essentiel de mobiliser les acteurs de la recherche et de l’innovation, publics et privés.

Dans la loi de 2013, nous avons mis en place des dispositifs pour favoriser les partenariats, l’interdisciplinarité et le transfert de la recherche vers le secteur privé. C’est donc un écosystème de la formation, de la recherche et de l’innovation que nous voulons développer avec les laboratoires publics des organismes de recherche et des universités, souvent communs, les 5 alliances thématiques qui les rassemblent, mais aussi les sociétés d’accélération de transfert technologique, les pôles de compétitivité, les start-ups, les entreprises…

L’agenda stratégique France Europe 2020 est donc porté par une ambition collective, ouverte aux partenariats européens et internationaux, au service du partenariat franco-allemand pour la recherche dont nous avons ensemble tracé la feuille de route jusqu’en 2016.

Toutes les actions que j’ai déjà évoquées seront poursuivies et deux nouvelles priorités se sont ajoutées : l’énergie et le numérique. La France et l’Allemagne ont évoqué à plusieurs reprises, et au plus haut niveau, la construction d’un Airbus de l’Énergie, dont la valeur ajoutée sera bien entendu la recherche et l’innovation. Nos deux systèmes énergétiques sont très différents, donc très complémentaires.

J’ai déjà évoqué les développements communs dans le domaine du solaire photovoltaïque. Les autres champs de partenariat ont été définis l’efficacité énergétique, les smart grids, la conversion des ressources végétales en hydrocarbures utilisables comme carburants, le stockage de l’énergie et les matériaux associés, la pile à combustible et hydrogène. Plusieurs projets sont déjà identifiés et pour certains engagés sur cette thématique majeure à la fois pour la réduction d’émissions de gaz à effet de serre, le développement des énergies renouvelables, le développement de notre économie et la préservation de notre autonomie énergétique.

Dans le secteur du numérique, la cybersécurité est au coeur de nos préoccupations et recherches à développer en commun, avec un projet qu’il serait intéressant de développer, celui d’un institut de recherche franco-allemand en cybersécurité co-localisé à Sarrebruck et Nancy, deux centres de compétences reconnues dans ce domaine stratégique et qui ont déjà développé un travail en commun.

Les coopérations franco-allemandes doivent se poursuivre et se développer, sur des thèmes stratégiques

Les coopérations gagneraient à se prolonger et se renforcer dans le domaine du calcul haute performance, dans la suite du projet européen Prace 1. D’une façon plus générale, le tandem franco-allemand porte déjà la majorité des projets H2020 au sein de l’espace européen de la recherche. Ce rôle déterminant doit être maintenu et amplifié.

On voit à quel point les relations entre nos deux pays sont un gage de succès pour toute l’Europe. Ces relations sont fondées sur une vision partagée de la qualité de la formation et de la recherche, fondamentale et appliquée, de leur contribution à l’innovation, véritable levier pour la production de connaissances et la création d’emplois.

Enfin, je l’ai souvent dit, notre coopération doit inclure complètement le volet «enseignement supérieur». L’Agenda franco-allemand 2020 l’intègre parfaitement, en fixant des objectifs ambitieux en matière de mobilité des étudiants et d’échanges linguistiques : d’ici 2020, doublement du nombre de cursus bilingues dans l’enseignement supérieur, doublement du nombre de doctorants et jeunes chercheurs participant à des programmes financés par l’Université franco- allemande, création d’un statut du stagiaire franco-allemand, confirmation d’un Campus européen franco-allemand à Strasbourg, en partenariat avec l’université d’Heidelberg et en lien avec les universités de Bâle, Karlsruhe et Mulhouse notamment. Tous ces objectifs, nous les atteindrons ensemble, sur la base d’un partenariat fort entre nos deux pays.

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