Allemagne : la protection contre l´incendie est-elle compatible avec les matériaux de construction durables ?

Le gouvernement fédéral allemand mise de plus en plus sur les matériaux de construction durables pour l´édification de nouveaux bâtiments. Mais les règlements de protection contre les incendies dans la construction empêchent encore leur utilisation à grande échelle. Le domaine de la construction est trés important pour une économie durable et pour la protection du climat. C’est pourquoi il est primordial d´utiliser des matériaux issus de matières premières renouvelables pour les nouveaux bâtiments. Mais sont-ils résistants au feu ?

Pour allumer un feu, trois ingrédients suffisent : Une étincelle, de l’oxygène et un matériau inflammable. Dès l’âge de pierre, les hommes ont utilisé cette simple recette.  Ils utilisaient pour cela de l’herbe sèche, du bois ou des morceaux d’écorce – des matériaux biologiques qui s’enflamment facilement. Et c’est précisément ce type de matières premières renouvelables que l´on préconise de plus en plus pour l´isolation  des nouvelles construction . Du point de vue de la protection de l’environnement et du climat, c’est une bonne chose ; mais qu’en est-il de la protection contre les incendies de maisons et d’appartements ?

En fait, les matériaux de construction renouvelables sont l’un des grands thèmes qui préoccupent actuellement les experts en protection incendie, explique Jochen Zehfuß, directeur du département de protection incendie à l’Institut des matériaux de construction, de la construction massive et de la protection incendie (iBMB) de l’Université technique de Braunschweig. Étant donné que les matériaux de construction classiques produisent beaucoup de dioxyde de carbone (CO2), le gouvernement fédéral veut promouvoir davantage la construction durable et climatiquement neutre, comme le stipule la « stratégie allemande de durabilité » de 2021.  On y préconise de remplacer le béton, la laine de roche ou  la laine de verre traditionnels par de matières premières renouvelables – comme le bois, qui peut servir à construire des bâtiments complets, mais aussi la cellulose, le chanvre, le lin, le liège, la laine, certaines herbes ou la paille, qui peuvent être utilisés comme matériaux d’isolation.

De tels matériaux de construction sont encore rares dans les bâtiments allemands. En 2020, les matériaux d’isolation durables ne représentaient que neuf pour cent du marché. Cela est également dû aux exigences élevées en matière de protection contre les incendies : Beaucoup de ces produits inflammables ne sont pas autorisés pour la construction de bâtiments – ou  seulement pour les maisons individuelles.

Les normes de construction constituent aujourd’hui encore la meilleure protection contre les incendies . les matériaux de construction facilement inflammables sont interdits. Les éléments de construction porteurs doivent être suffisamment résistants pour qu’un incendie ne puisse pas les détruire. Les bâtiments doivent être divisés en étages et en pièces, car les murs et les faux plafonds empêchent les flammes de se propager rapidement. Dans les murs extérieurs, les barrières coupe-feu ont un effet similaire. Il s’agit de barrières en matériaux ininflammables que les artisans doivent installer dans les immeubles collectifs par exemple, dès qu’ils isolent la façade avec des matériaux facilement inflammables.

Outre les matériaux de construction issus de matières premières renouvelables, il existe un autre facteur important qui préoccupe les experts en protection incendie : le nombre croissant de véhicules électriques et d’accumulateurs d’énergie dans les bâtiments. S’il est relativement rare que les accumulateurs explosent et s’enflamment, un tel scénario n’est pas exclu. Les accumulateurs d’énergie constituent donc une source de danger supplémentaire pour les incendies de bâtiments. Jochen Zehfuß, directeur du département de protection contre les incendies à l’Institut des matériaux de construction, de la construction massive et de la protection contre les incendies (iBMB) de l’Université technique de Braunschweig, fait toutefois remarquer qu’il n’existe pas encore suffisamment de données pour se prononcer avec certitude, car les voitures électriques sont encore relativement peu répandues.

Les barrières coupe-feu sont l’une des trois stratégies permettant d’installer des matières premières renouvelables de manière à ce qu’elles soient résistantes au feu, explique Zehfuß. « Ici, on accepte que les matériaux puissent certes commencer à couver ». Mais en limitant la surface et le volume inflammables, on peut empêcher une propagation rapide des flammes. De plus, les matériaux d´origine biologiques réduisent la pénétration de gaz toxiques comme le monoxyde de carbone à l’intérieur.

Les spécialistes comme Zehfuß citent une autre approche, vieille de plusieurs siècles, la « stratégie d’encapsulation ». Dans ce cas, les matériaux isolants sont protégés par des matériaux non inflammables. Il peut s’agir par exemple d’une couche d’enduit appliquée sur une certaine épaisseur. De cette manière, les matériaux isolants potentiellement inflammables sont si bien isolés que la température nécessaire pour qu’ils prennent feu n’est généralement pas atteinte.

Une troisième possibilité consisterait à ajouter des retardateurs de flamme, de sorte que les matériaux s’enflamment moins facilement, explique l’expert. « Des essais en laboratoire montrent toutefois que cela ne fonctionne pas suffisamment bien ». La proportion d’additifs chimiques devrait être si élevée que le produit ne serait plus durable.

Les scientifiques du Centre de recherche sur les incendies (ZeBra) de l’université technique de Braunschweig, dont Jochen Zehfuß. étudient les réactions des matériaux à l’allumage du feu  et ensuite à haute température.

Il a été démontré que les matériaux issus de matières premières renouvelables ont souvent tendance à s’auto-entretenir. Une température d’inflammation d’environ 200 degrés Celsius suffit généralement comme déclencheur. Et comme les matériaux isolants ont généralement des surfaces hydrofuges pour ne pas attirer l’humidité, ils sont extrêmement difficiles à éteindre. « Il faut donc éviter que le processus de carbonisation ne commence avec les matériaux isolants », recommande l’expert en protection incendie.

On examine donc dans quelle mesure les retardateurs de flamme augmentent la température d’inflammation des matières premières renouvelables ou font en sorte que les matériaux cessent de couver d’eux-mêmes. Dans un article paru dans le magazine « Bauphysik », une équipe de l’université technique de Braunschweig, dont Zehfuß et d’autres experts de plusieurs autres universités allemandes, ont observé que les additifs ne permettent pas aux matériaux de construction de cesser de couver le feu. Toutefois, les retardateurs de flamme respectueux de l’environnement peuvent tout de même réduire la tendance à la carbonisation de certains matériaux isolants aussi bien que leurs équivalents synthétiques traditionnels. Mais jusqu’à présent, les retardateurs de flamme durables n’ont pas encore suffisamment prouvé leur efficacité, explique M. Zehfuß.

Dans une « maison de feu » de quatre étages, un bâtiment dans lequel des incendies sont simulés, les chercheurs du ZeBra étudient la manière dont les incendies se propagent sur plusieurs étages et pour différents types de construction et  testent à l’échelle réelle de nouvelles installations d’extinction ou des stratégies de lutte contre les incendies mises en place par les pompiers. Dans de grands calorimètres, des hottes d’une surface de douze mètres sur douze, les scientifiques peuvent capter tous les gaz d’incendie à l’échelle réelle et les analyser ensuite. La chaleur mesurée et les gaz libérés enseignent sur la manière dont le feu se développe.

Selon M. Zehfuß, des expériences ont déjà démontré que certaines isolations en matières premières durables peuvent être utilisées de manière sûre en combinant des barrières coupe-feu avec la stratégie d’encapsulation. De telles méthodes ont déjà été présentées aux autorités de contrôle de la construction, dit-il. Mais les organes de décision hésitent à modifier les exigences de construction correspondantes. Les pompiers craignent que les matériaux de construction durables ne provoquent plus de feux couvants que d’habitude. Les gaz toxiques qui en résultent pourraient alors s’infiltrer dans le bâtiment et nuire aux personnes.

La condition préalable à une utilisation sans risque d’incendie des matériaux de construction durables est qu’ils soient utilisés conformément aux prescriptions de protection incendie. Il faut pouvoir prévoir des barrières coupe-feu selon le bâtiment, le matériau et le mode de construction.  C’est souvent au niveau de l’exécution que les manques apparaissent: « En matière de protection contre l’incendie, la plupart des erreurs sont commises sur les chantiers », déclare Zehfuß. Si des matériaux de construction classiques et ininflammables sont utilisés, les défauts de mise en œuvre n’ont pas forcément de conséquences. En revanche, avec les matériaux renouvelables, le risque d’incendie augmente souvent.

« La vitesse à laquelle les nouveaux développements sont autorisés par le droit de la construction et mis en pratique est beaucoup trop lente », estime Jochen Zehfuß. Il existerait déjà des solutions fiables et écologiques, notamment pour l’isolation des façades, comme les panneaux de fibres fabriqués à partir de déchets de bois. Ceux-ci sont durables et nettement plus respectueux du climat que le polystyrène à base de pétrole, très utilisé, qui finit en déchets nocifs à la fin de sa durée de vie. En raison du risque prétendument trop élevé d’incendie couvant, l’isolation en fibres de bois n’est jusqu’à présent autorisée que pour les petits bâtiments. Afin de mettre rapidement en œuvre la protection climatique, le tournant énergétique et la durabilité dans la construction , il serait donc temps de passer des paroles aux actes en matière de protection incendie des bâtiments. « Apparemment, cela nécessite encore un travail de persuasion », suppose Zehfuß.

Source : D´aprés un artile du magazine « Spektrum de » rédigé par Janosch Deeg