Conférence annuelle sur les biocarburants : compte-rendu
Les 20 et 21 janvier 2014 a eu lieu à l’International Congress Center de Berlin le congrès allemand annuel sur les biocarburants, “Kraftstoffe der Zukunft 2014”. Dans un contexte international, il a réuni cette année pas moins de 500 participants issus de 30 pays ; néanmoins, une large part des présentations s’est essentiellement concentrée sur les développements de cette technologie en Allemagne. Le public était constitué d’industriels du secteur en majorité, mais également de scientifiques et de représentants des organisations décisionnelles. Cette année encore, le mécontentement contre la Commission Européenne a mobilisé une part importante des débats.
Contexte politique en Allemagne et en Europe
En introduction, M. Helmut Lamp, Président de l’Association fédérale pour la bioénergie (BBE), a déploré un “battage sociétal” contre les biocarburants (BC). M. Wolfgang Vogel, Président de l’Union pour le soutien des plantes à huiles et protéines (UFOP), a plaidé pour une transition douce entre les deux générations de BC,estimant qu’à court et moyen terme, les BC sont l’unique possibilité de diminuer les émissions de CO2 dans les transports. Pour mémoire, la première génération, utilisée industriellement, est à base de plantes agricoles ; la deuxième, encore au stade de la R&D, est à base de déchets végétaux. Il a enfin vivement critiqué le critère ILUC (pour Indirect Land Use Change) mis en avant par la Commission Européenne pour limiter les BC de première génération. Selon M. Vogel, l’ILUC n’est ni mesurable, ni modélisable et ne doit pas être pris en compte dans le bilan des émissions de CO2 des BC.
M. Andreas Pilzecker, de la DG Energie à la Commission Européenne, a ensuite cherché à répondre à ces critiques de la proposition que la Commission a effectué l’année dernière (entre autres, concernant les 10% à couvrir grâce à des énergies renouvelables d’ici 2020, une limitation à 5% de cette consommation couverte par les BC de première génération serait mise en place). M. Pilzecker a estimé que les défis à l’échelle européenne étaient les suivants : i) faire reconnaître aux différents Etats membres les systèmes de certification déjà mis en place aux échelles nationales, ii) arrêter la discrimination envers les BC issus de pays non membres, et iii) faire accepter le rôle (bien que non principal) de l’ILUC causé par les BC pour le changement climatique. M. Pilzecker a néanmoins dit craindre une fragmentation de la politique européenne des BC aux échelles nationales, et s’est déclaré inquiet sur la possibilité d’un accord politique.
M. Rainer Bomba, Secrétaire d’Etat au Ministère fédéral des transports et de l’infrastructure digitale, a rappelé que le secteur des transports, actuellement responsable de 30% de la consommation d’énergie en Allemagne, devrait diminuer ses émissions de CO2. Selon M. Bomba, l’électromobilité, que ce soit par batteries ou par hydrogène, ne sera pas disponible avant longtemps à l’échelle industrielle ; les BC sont donc nécessaires pour assurer la transition. Une stratégie pour les BC va donc être discutée au cours de cette législature par le nouveau gouvernement.
M. Matthias Finkbeiner, de l’Université technique de Berlin, a ensuite présenté un exposé très clair sur le calcul du facteur ILUC. Selon lui, cette composante fait l’objet de peu de travaux scientifiques et ne dispose d’aucuns standards internationaux ou méthodes de calcul, car il s’agit uniquement d’effets de marché, souvent très théoriques (conséquences sur les prix des denrées alimentaires dans les pays du tiers-monde, par exemple). A part l’UE, le seul autre système à prendre en compte l’ILUC dans ses bilans d’émissions des carburants est le California Low Carbon Fuel Standard. Selon lui, les principaux problèmes que crée la prise en compte de l’ILUC telle qu’elle est proposée par la Commission sont les suivants : l’ILUC devrait du coup être comptabilisé pour tous les produits agricoles, pas seulement les BC ; en outre, l’ILUC n’est pas le seul effet sur les émissions, il y aurait d’autres effets indirects qu’il faudrait prendre en compte. En conséquence, les chiffres donnés par différentes méthodes de calcul envisagent une variation des émissions de CO2 des BC par rapport aux carburants fossiles de -200% à +1700% ! La mesure de l’ILUC ne serait donc pas encore mature.
Au cours de la discussion qui a suivi, les participants sont revenus sur les valeurs du facteur ILUC produites à partir d’un modèle à la demande de la Commission. Celles-ci ont été vivement critiquées ; à ce sujet, M. Pilzecker a déclaré que la Commission avait conscience que ces chiffres étaient discutables et qu’aucune politique ne serait donc basée sur ces données. Il a en outre déclaré que si l’ILUC n’est compté que pour les BC, c’est parce que le rôle premier des BC est de faire diminuer les émissions de CO2 du secteur du transport. Les BC permettent actuellement de faire diminuer ces émissions, mais pas suffisamment selon la Commission.
Enfin, tous les acteurs ont estimé qu’il n’y aurait pas de “voie en or” pour décarboner la mobilité, et que la solution serait dans une combinaison de technologies : BC liquides des deux générations, biométhane et Power-to-Gas, électromobilité à batteries et à hydrogène.
Le biométhane : une technologie déjà éprouvée
M. Horst Seide, Président du syndicat professionnel du biogaz, a d’abord présenté les chances et difficultés de la branche du biométhane et du CNG (pour gaz naturel compressé). Selon lui, ces technologies répondent aux challenges posés par l’augmentation du prix du pétrole et la diminution de ses réserves, ainsi qu’à la protection du climat. Ces technologies ont également l’avantage de disposer d’une infrastructure existante, le réseau de gaz naturel, qui permettait de couvrir les besoins de 400.000 véhicules. En outre, les déchets disponibles outre-Rhin permettraient de produire du biogaz pour 1,5 millions de véhicules supplémentaires. En termes de coûts, le diésel fossile se situe actuellement à 0,07 euros/kWh, avec une tendance à la hausse, tandis que le gaz naturel se situerait à 0,035 euros/kWh et le biométhane à 0,07 euros/kWh, tous deux à tendance constante. Néanmoins, à l’heure actuelle les technologies du CNG et du biométhane pour la mobilité sont encore peu répandues : 90.000 véhicules au CNG en Allemagne, ainsi que 900 stations de recharge. En outre, 177 stations proposent du biométhane pur et 150 proposent un mélange avec du CNG. Les besoins seraient chiffrés à 1400 stations pour un total de 900.000 véhicules, à partir de quoi le marché pourrait s’établir de lui-même, sans l’aide de subventions. Pour conclure, M. Seide a détaillé le manque de communication dont la filière souffre : les prix à la pompe sont indiqués en euros/kg, ce qui les rend difficiles à comparer aux prix de l’essence traditionnelle, affichés en euros/L.
M. Franck Scholwin, de l’Institut du biogaz, de l’économie circulaire et de l’énergie (IBKE), a présenté un exposé sur le biométhane liquide (LBG). Les avantages de cette technologie seraient les suivants : une forte densité énergétique (énergie pouvant être tirée d’une unité de volume de biomasse), cinq fois supérieure au biométhane compressé, un volume restreint pour les stations de recharge, une diminution des émissions de gaz à effet de serre de 85% par rapport au diésel, une possibilité de stockage d’énergie, une production locale, et une possible application pour l’aviation. Les défis que le LBG doit encore surmonter sont la qualité du biométhane produit, la garantie de la sécurité opérationnelle et le processus de certification. Il existe déjà plusieurs types de véhicules disponibles (par Volvo ou encore Mercedes). Enfin, M. Scholwin a présenté les deux seules centrales de production de LBG en Europe : l’une se trouve à Lidköping (Suède), où elle produit du LBG à partir de déchets végétaux depuis avril 2012. L’autre se trouve à Albury (Royaume-Uni), et produit du LBG depuis juin 2008 à partir de gaz de décharge.
M. Reinhardt Otten, d’Audi, a enfin présenté, via le projet Audi e-gas, les synergies du Power-to-Gas avec la production de biométhane. Audi développe en effet un site de production de méthane pour la mobilité, méthane produit par procédé Power-to-Gas à partir d’électricité d’origine éolienne sur son site de Werlte (Basse-Saxe). M. Otten considère que l’utilisation de gaz naturel pour le transport n’est pas seulement une niche, mais une véritable solution de transition complémentaire à l’électromobilité. Il estime que les BC de première génération ont un potentiel limité. A l’inverse, le gaz naturel, dont l’infrastructure est déjà en place, serait très prometteur. Le réseau gazier permettrait en outre de stocker une quantité d’énergie considérable, équivalente à deux mois de production d’électricité complète pour l’Allemagne. Sur le site de Werlte, l’électrolyseur a une puissance de 6 MW ; la centrale de méthanisation serait la plus grande au monde (1000 t/a de gaz). En outre, la chaleur résiduelle générée par l’installation Power-to-Gas est utilisée pour la production de biométhane qui y est rattachée. Cette production permet de fournir le CO2 (issu du biogaz) nécessaire à la méthanisation de l’hydrogène produit par électrolyse. Les véhicules roulant à l’e-gas (du gaz naturel produit par Power-to-Gas) sont des Audi g-tron A3, dont la production a commencé en décembre 2013 et qui seront mis en vente en Allemagne à un prix de 25.900 euros. Ces véhicules hybrides ont une autonomie d’au moins 420 km avec le seul gaz naturel, et d’au moins 900 km avec l’essence. En termes d’émissions, le bilan de tels véhicules serait aussi bon que celui de voitures électriques fonctionnant à l’électricité d’origine éolienne. Les centrales au biogaz sont selon M. Otten le meilleur moyen de fournir le CO2 nécessaire à la méthanisation. Enfin, il juge que la mobilité du futur sera un mix de l’électromobilité, des BC et du Power-to-Gas.
Le biokérosène, un carburant produit à partir de différentes sources et vital pour l’avenir de l’aviation
Ce panel a été présenté par Lukas Rohleder, d’aireg, une initiative qui regroupe plusieurs acteurs du secteur aéronautique allemand autour de la thématique des BC. Les objectifs que se sont fixés ces acteurs sont les suivants : une augmentation de l’efficacité énergétique des avions de 1,5% par an d’ici 2020 et au-delà, une croissance dans ce secteur neutre en CO2. M. Rohleder a rappelé que plusieurs vols test ont été effectués avec des BC, parmi lesquels la série de vols de Lufthansa entre Hambourg et Francfort à l’aide de BC de première génération.
M. Dominik Behrendt, du Centre de recherche de Jülich, a d’abord présenté le projet de recherche AUFWIND, qui consiste à produire du kérosène à partir d’algues (troisième génération). Ce projet, lancé en juin 2013 et qui durera jusqu’à novembre 2015, regroupe 12 partenaires des milieux scientifiques, d’ingénieurs et aéronautiques, pour une démonstration de toute la chaine de valeur : de la culture d’algues à la production de kérosène. Le projet dispose de 7,4 M euros. Il comprend donc la culture de micro-algues dans trois photobioréacteurs de 500 m2 chacun, à partir desquelles seront fabriqués des huiles puis du kérosène. Les avantages des algues résident dans leur croissance très rapide, leur fort contenu huileux et leur consommation de CO2. Cette technologie est cependant loin d’être disponible pour un usage industriel. Un membre du public australien est intervenu à la fin de l’exposé pour faire part de son opinion selon laquelle ce procédé n’est pas rentable économiquement.
Par la suite, M. Martin Kaltschmitt, de l’Université technique de Hambourg-Harbourg, a présenté un exposé portant sur la production de kérosène à partir de biométhane. Cet exposé, très technique, a détaillé les différentes étapes du processus de production via une synthèse de Fischer-Tropsch (procédé Gas-to-Liquid). Le biométhane est produit à partir de déchets collectés à Hambourg. Le biokérosène résultant serait compatible avec le Jet A1, carburant le plus répandu dans l’aviation civile. Néanmoins, le processus de transformation de biométhane en biokérosène aurait une efficacité de seulement 30%.
Enfin, M. Frédéric Eychenne, d’Airbus, a présenté la vision de l’avionneur concernant les BC. Il a rappelé que la croissance dans le secteur de l’aviation était exponentielle, que le trafic aérien doublerait d’ici 15 ans, et que la consommation de kérosène et les émissions de CO2 plus que doubleraient dans les 25 prochaines années. Les BC seraient donc avant tout une réponse à cette croissance, avant d’être une solution pour freiner le changement climatique (l’aviation serait responsable de 2% des émissions de CO2 mondiales). Le prochain biokérosène qui sera certifié va être le produit mis au point par Total à base de sucres. Un vol test a déjà été réalisé au dernier salon du Bourget. L’objectif serait de faire voler tous les vols domestiques (en France) avec un tel carburant. Néanmoins, cette technologie ne serait pas encore rentable. M. Eychenne a par ailleurs soulevé l’importance cruciale des politiques en termes de certification à l’échelle mondiale. Il a enfin appelé à la réalisation de démonstrations à de plus larges échelles.
Pour en savoir plus, contacts :
– Voir la page internet de la conférence : http://www.kraftstoffe-der-zukunft.com/
– Voir également le compte-rendu de la conférence de 2013, qui avait fait l’objet d’un bulletin électronique : “Biocarburants : conférence à Berlin pour un secteur industriel dans l’incertitude”, BE Allemagne n° 600 – 07/02/2013 – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/72170.htm
Sources :
Présence de la rédactrice à la conférence.
Rédacteurs :
Hélène Benveniste, helene.benveniste@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr/