Rapport 2012 de la Commission d’experts pour la recherche et l’innovation

La Commission d’experts pour la recherche et l’innovation (EFI) a remis son rapport 2012 sur la recherche, l’innovation et les capacités technologiques de l’Allemagne à la Chancelière allemande, Angela Merkel, le 29 février dernier. Le rapport évalue la situation actuelle de l’Allemagne dans le domaine de la recherche et de l’innovation, identifie les évolutions récentes et met en avant les défis auxquels le pays est ou sera bientôt confronté : transformation du paysage allemand de la recherche, manque de main d’oeuvre qualifiée, difficultés de création d’entreprises, promotion publique de la recherche, défi chinois.

L’EFI place en toile de fond la situation allemande vis-à-vis de ses engagements européens en termes de recherche et d’innovation. Elle constate que si l’Allemagne a atteint un résultat plus qu’honorable, avec 2,82% de son PIB consacrés à la R&D en 2010, celui-ci reste cependant en dessous de l’objectif des 3% formulé lors du Conseil européen de Lisbonne, que certains pays membres de l’Union européenne ont déjà dépassé. Néanmoins, l’Allemagne est en bonne position pour parvenir à ce résultat dans les années à venir. De plus, les 3% ne doivent pas être pris comme un but en soi : l’important est que le pays s’oriente par rapport au groupe de pointe au niveau mondial en matière d’intensité de R&D. L’EFI pointe également l’hétérogénéité des Etats membres de l’UE en la matière, malgré les efforts des fonds structurels européens pour aplanir ces différences, et le besoin de renforcer l’innovation et la productivité de tous au moyen de stratégies d’innovation nationales.

L’attractivité de l’Allemagne en tant que site de recherche et d’innovation est un point essentiel soulevé par l’EFI. La Commission souligne que, dans le contexte de la globalisation de la R&D, un cadre politique favorable à l’innovation est de plus en plus important, afin d’inciter les entreprises à investir dans la R&D en Allemagne, ou au contraire afin d’éviter les délocalisations des activités de recherche. L’EFI recommande de continuer l’amélioration des conditions générales pour la recherche et l’innovation, et en particulier par l’adoption de mesures fiscales de promotion de la R&D, ce qu’elle recommandait déjà dans ses rapports précédents. Enfin, l’EFI note que la transition énergétique allemande décidée à l’été 2011 offre des perspectives intéressantes pour l’Allemagne dans le domaine des technologies de pointe, notamment dans le domaine de l’approvisionnement en énergie.

Dans ce contexte, l’EFI a choisi de traiter de façon approfondie cinq thèmes dans son rapport 2012, qui sont autant de défis principaux pour la politique de recherche allemande d’aujourd’hui et pour les années à venir :

=> La recherche dans les établissements d’enseignement supérieur

Les établissements d’enseignement supérieur ont connu ces dernières années plusieurs réformes et l’introduction de nouveaux programmes, tels que l’Initiative d’excellence, la compétition pour les clusters de pointe, le pacte 2020 pour l’enseignement supérieur … Dans le même temps, et malgré l’augmentationdu budget de la recherche au niveau fédéral, ils ont eu à faire face à une baisse de leurs financements de base, compensée seulement depuis 2006 par la croissance des financements extérieurs.

L’Initiative d’excellence a renforcé la différentiation du paysage universitaire allemand, tout en améliorant la visibilité internationale des universités soutenues. L’évolution est généralement positive mais la Commission voit encore un besoin d’action dans les domaines suivants :
– Corriger la réforme du fédéralisme de 2006 pour permettre un soutien institutionnel aux universités provenant du gouvernement fédéral, ce qui passe par la modification de l’article 91b de la Loi fondamentale allemande.
– Renforcer le financement public des universités, qui ne devraient pas avoir à s’appuyer davantage sur les financements extérieurs, et notamment faciliter le financement des fondations.
– Professionnaliser les établissements d’enseignement supérieur pour qu’ils puissent jouir pleinement de leur autonomie, tout en libérant les chercheurs des contraintes administratives.
– Agir contre la précarité des jeunes chercheurs : augmenter le nombre de postes de « professeurs juniors » (qui permettent aux jeunes docteurs d’avoir de l’autonomie et des responsabilités tôt dans leur carrière) et les compléter avec le modèle « Tenure-Track » (qui propose une perspective de d’emploi stable pour les jeunes chercheurs, avec des évaluations), ainsi qu’instituer davantage de chaires pour les chercheurs confirmés (W2 et W3).
– Poursuivre les initiatives qui ont émergé dans le cadre de l’Initiative d’excellence même après la fin de celle-ci, pour ne pas mettre en danger le succès de ces mesures sur le long terme, et explorer de nouveaux modèles de partenariats entre les établissements d’enseignement supérieur et les institutions de recherche extra-universitaires.

=> Le manque de main d’oeuvre qualifiée et son impact sur l’innovation

Le changement démographique et l’intensification de l’apport scientifique à l’économie posent de grands défis à l’Allemagne, en changeant structurellement le marché du travail pour les personnes qualifiées. Les secteurs d’emploi basés sur la croissance feront face à un manque de main d’oeuvre qualifiée qui ira en s’amplifiant. L’EFI recommande la mise en place de mesures pour répondre immédiatement à ces défis, en agissant sur la politique d’éducation pour adapter les qualifications aux demandes du marché du travail, en prenant des mesures au sein des entreprises pour conserver les qualifications des employés seniors, en prenant en compte le potentiel des inactifs, et en faisant évoluer la politique d’immigration pour répondre aux besoins des secteurs.

En ce qui concerne la politique d’éducation, une attention particulière doit être portée à l’apprentissage et à une amélioration de la flexibilité des formations, qui passe par l’instauration de nouvelles passerelles. Les établissements d’enseignement supérieur devraient également renforcer leur différentiation horizontale en prenant appui sur leurs avantages comparatifs, et améliorer l’attractivité des cursus qui viennent en soutien à la croissance et à l’innovation, tels que les sciences de l’ingénieur.

L’EFI recommande également de mieux intégrer les personnes issues de l’immigration à tous les niveaux de qualification. Le gouvernement devrait agir en faveur de la reconnaissance des diplômes, et encourager le démarchage des meilleurs diplômés étrangers. Il faudrait enfin que le potentiel des femmes qui ne sont pas sur le marché du travail soit mieux exploité, en améliorant les mesures de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (améliorer la prise en charge des jeunes enfants, permettre une meilleure implication des hommes dans la vie familiale…). Les mesures qui encouragent les femmes à rester chez elles pour s’occuper de leurs enfants, telles que l’allocation parentale d’éducation, en cours de planification, ont un effet négatif sur le potentiel d’innovation de l’Allemagne.

=> La croissance des jeunes entreprises

Le nombre de créations de nouvelles entreprises en Allemagne est relativement faible en comparaison avec d’autres pays. Cela est dû notamment aux difficultés de financement que rencontrent les jeunes entreprises allemandes. L’EFI propose des mesures pour améliorer cet état de fait : l’introduction de la forme juridique de la société européenne, qui permet un même cadre juridique pour les entreprises dans tous les Etats membres de l’UE ; une modification du droit allemand de la faillite pour faciliter le redressement des entreprises en difficulté ; des incitations juridique et fiscale pour promouvoir le capital-risque.

=> La promotion publique de la recherche

De nombreux pays ont soutenu au cours des dix dernières années un renforcement de la R&D dans le secteur privé grâce à des mesures étatiques de financement. Ces mesures concernent en particulier les incitations fiscales, forme de soutien à laquelle l’Allemagne n’a jusqu’à présent jamais eu recours. L’EFI suggère l’introduction de telles mesures en Allemagne, afin de faciliter la réalisation de projets de R&D par les PME.

Plus largement, l’EFI recommande une évaluation générale de la politique allemande en matière de recherche et d’innovation selon des critères scientifiques pour déterminer quelles mesures ont eu le plus d’effet.

=> Le défi posé par la Chine

L’EFI remarque que la Chine est devenue l’une des premières nations au niveau mondial en ce qui concerne ses capacités économiques et scientifiques. Le gouvernement chinois poursuit une stratégie d’innovation offensive pour positionner le pays en tant que leader dans le domaine de l’innovation d’ici à 2020. En particulier, la Chine est de plus en plus présente dans des domaines de compétences qui ont traditionnellement une grande place en Allemagne. Cela pose des difficultés aux entreprises allemandes pour plusieurs raisons, entre autres car la Chine conditionne l’accès à son marché intérieur pour les entreprises étrangères à l’installation sur son territoire d’une partie de la production et de la R&D. De plus, elles sont handicapées par les faiblesses du droit de la propriété intellectuelle en Chine.

L’EFI suggère que la poursuite de la coopération germano-chinoise dans l’intérêt mutuel des deux parties doit être conditionnée à un rééquilibrage : réforme du droit chinois de la propriété intellectuelle ; développement de normes et de standards scientifiques ; attention spéciale pour la sphère asiatique dans les formations scientifiques, économiques et juridiques allemandes. Le gouvernement allemand devrait également être plus réactif par rapport aux défis posés par la Chine. Enfin, l’EFI évalue que le marché de l’électromobilité sera essentiellement chinois et non allemand. Elle note cependant que l’Allemagne pourrait se positionner en tant que fournisseur de technologies sur ce marché, et pour ce faire, recommande de développer une stratégie allemande spécifique pour l’électromobilité.

 

Pour en savoir plus, contacts :

L’intégralité du rapport est disponible sur le site de l’EFI (en allemand, cf. source de l’article pour le lien)

 

Sources :

Rapport EFI 2012 – http://www.e-fi.de/fileadmin/Gutachten/EFI_Gutachten_2012_deutsch.pdf

 

Rédacteurs :

Elodie Parisot, elodie.parisot@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr