Retour sur la conférence « IA et santé : perspectives franco-allemandes » du 5.11.2018 à l’occasion de la Berlin Science Week
Les différentes interventions ont permis d’insister sur trois points importants : le partage des données de santé, l’évolution du rôle des personnels soignants et les aspects éthiques du développement de l’IA en santé.
1) Le partage des données de santé, première étape cruciale pour le développement de l’intelligence artificielle dans le domaine médical
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Tous les intervenants de la conférence ont insisté, au cours de leurs discussions, sur les obstacles relatifs à la mise en place du partage des données de santé, tout en soulignant à quel point cette étape est nécessaire au développement et à l’utilisation de l’IA.
Martin HIRSCH a ainsi rappelé les difficultés relatives à la mise en place du « Dossier Médical Partagé » (DMP) et présenté le projet actuel de « Health Digital Hub » actuellement en cours de création à Paris. Le Secrétaire d’Etat Thomas GEBHART a, quant à lui, rappelé la nécessité de travailler en franco-allemand sur la définition de standards communs et sur l’interopérabilité des données. Tous les chercheurs français et allemands ont évoqué les contraintes créées par l’application de la Réglementation Générale Européenne sur la Protection des Données (ci-après « RGPD »), en vigueur depuis mai 2018. Ils ont plaidé en faveur d’un assouplissement de la réglementation sur l’utilisation des données personnelles à des fins académiques ; certains d’entre eux ont évoqué la possibilité de créer des « cohortes virtuelles de patients », générées par IA, afin de contourner cet obstacle règlementaire aux recherches médicales. Enfin, les représentants des start-ups ont rappelé les difficultés suscitées par l’accès à des bases de données « propres », « homogènes », et non-biaisées.
La problématique du partage des données pourrait faire l’objet d’un groupe de travail franco-allemand dédié, par exemple au domaine des données de recherche en santé. Les interventions concernant l’IA dans la lutte contre le diabète ont permis d’identifier cette maladie comme un vecteur stratégique potentiel pour un projet franco-allemand sur le partage des données de santé.
2) L’évolution du rôle des personnels soignants
De nombreuses interventions ont répondu aux craintes exprimées par le grand public et le corps médical quant à une éventuelle disparition des médecins, remplacés par des diagnostics et traitements automatisés grâce au développement de l’IA.
Pour l’ensemble des intervenants, cette évolution appartient au domaine de la science-fiction. Néanmoins, le rôle des soignants sera vraisemblablement amené à évoluer, non seulement en raison de l’apparition de cette nouvelle technologie, mais aussi sous l’influence des changements démographiques tels que le vieillissement de la population, l’évolution du rôle des Etats dans la prise en charge des maladies, l’apparition de déserts médicaux et la tendance à l’augmentation du nombre de pathologies chroniques comme le diabète. Ainsi, le développement de l’intelligence artificielle permettra d’assister les soignants (aide au diagnostic, posologie) ainsi que les différentes fonctions supports comme la conciergerie des hôpitaux (comme la répartition des lits d’hôpital). Par exemple, Johannes SCHRÖDER a présenté la solution fournie par sa start-up Ada Health, qui consiste à orienter les patients vers le ou la spécialiste correspondant à son besoin. De façon plus générale, on note un changement de paradigme dans la prise en charge des patients tendant à prodiguer de plus en plus de soins ambulatoires et à raccourcir les séjours à l’hôpital, évolution qui va de pair avec le passage vers une médecine davantage prédictive, permise par l’application de l’intelligence artificielle et le développement de la génomique.
Ces deux évolutions concomitantes sont en partie permises par la transformation numérique du système de santé. Celle-ci nécessite de revoir en profondeur, non seulement le rôle, mais aussi la formation des professionnels de santé, un point sur lequel les intervenant.e.s ont particulièrement insisté.
3) Les enjeux éthiques du développement de l’intelligence artificielle dans la santé
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Plusieurs enjeux d’éthique sont revenus au cours des discussions.
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La sensibilité des données de santé, et notamment l’utilisation des données personnelles, est un premier point d’égale importance pour les acteurs français et allemands. Le secrétaire d’Etat GEBHART ainsi que Martin HIRSCH y ont tous deux longuement fait référence. Le cadre règlementaire européen du RGPD est considéré comme une protection nécessaire, bien que suscitant de nombreux obstacles pour la recherche médicale. L’ensemble des intervenants s’accorde néanmoins pour promouvoir une utilisation éthique et responsable des données personnelles de santé, tout en soulignant qu’un cadre juridique trop contraignant retarderait les avancées européennes et les rendrait plus vulnérables à l’arrivée sur le marché d’autres solutions notamment chinoises, la Chine étant généralement vue comme ne s’embarrassant pas des mêmes contraintes éthiques et règlementaires.
Le problème de la reproduction des biais sociaux (de genre, d’origine ethnique ou de classe sociale) a également été évoqué. Afin de s’assurer que les algorithmes ne reproduisent pas de tels biais, un important travail de certification de ces derniers afin de garantir leur transparence et leur explicabilité auprès des patients doit être effectué, au moins en franco-allemand si ce n’est au niveau européen.
Enfin, la chercheuse spécialisée en éthique des Interactions entre les Humains et les Machines (IHM) Laurence DEVILLERS a présenté les risques de manipulation liés au développement de l’affective computing, cette branche de l’intelligence artificielle utilisant le langage émotionnel pour encourager les humains à interagir avec les robots. Elle a ainsi alerté sur l’utilisation croissante de tels robots dans les EPHAD ou avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer – non pas pour interdire l’utilisation de tels robots compagnons mais plutôt pour limiter les possibilités de manipulation légalement envisageables par leurs constructeurs.
4) Le projet LifeTime, un projet européen d’envergure
Enfin, cette conférence a été l’occasion de présenter le projet LifeTime, un projet européen impliquant dix-sept pays et porté par Geneviève ALMOUZNI, directrice de l’Institut Curie à Paris, et Nikolaus RAJEWSKI, directeur scientifique au sein du Max Delbrück Center pour la médecine moléculaire à Berlin. Si ce projet est retenu par la commission européenne, il bénéficiera d’un financement d’un milliard d’euros sur dix ans.
Programme de la conférence : Programme disponible sur le site du Smart Data Forum 07.11.2018 https://smartdataforum.de/ai-in-health-french-german-perspectives/
Rédactrice : Philippine Régniez, philippine.regniez[at]diplomatie.gouv.fr – www.science-allemagne.fr