D’un modèle biologique à de l’engrais industriel

 

L’azote est l’un des éléments fondamentaux de la vie. Grâce à la lumière, les végétaux élaborent leur matière organique à partir des éléments de la biosphère (eau, CO2, composés azotés, phosphorés et soufrés, K+, Ca2+, Mg2+). Bien qu’il ne représente que 3% de la matière sèche végétale, l’azote entre dans la fabrication des acides nucléiques, des acides aminés, de la chlorophylle, et des facteurs de croissance, qui sont des molécules indispensables au développement des plantes. La bonne croissance des plantes dépend donc de la quantité d’azote moléculaire N2 disponible dans la nature.

La limite des stocks de cet élément pourrait engendrer de nombreux problèmes dans le secteur agricole. Pour éviter une telle situation, des engrais azotés synthétiques sont créés à partir d’ammoniac synthétisé à l’aide du procédé Haber-Bosch [1]. A l’origine, les engrais azotés provenaient essentiellement des sous-produits végétaux et animaux (fumier, guano, engrais verts…). Aujourd’hui, les engrais azotés sont synthétisés industriellement. Pour produire l’azote, on utilise des molécules d’azote de l’air réduites en ammoniac que l’on fait réagir avec du méthane et de l’eau. On obtient ainsi du nitrate d’ammonium qui est l’un des engrais les plus utilisés en agriculture. L’énergie requise par la synthèse industrielle pour obtenir les volumes de production actuels s’élève à près de 1% de la production totale d’énergie mondiale.

Une équipe de chercheurs dirigée par Oliver Einsle de l’Institut de chimie organique et de biochimie de l’Université de Fribourg (Bade-Wurtemberg) et membre du cluster d’excellence BIOSS, a découvert en partie comment fonctionne cette synthèse à l’état brut dans la nature. Leurs résultats ont été récemment publiés dans la revue Science.

La nitrogénase est un complexe enzymatique propre à certains procaryotes qui catalyse la séquence complète des réactions au cours desquelles la réduction de diazote N2 conduit à la formation d’ammoniac NH3. La nitrogénase, élément important pour l’alimentation des plantes, utilise l’élément chimique molybdène (Mo) incorporé dans un co-facteur à molybdène, nécessaire à l’activation de l’enzyme. Chez les autres enzymes utilisant des co-facteurs à molybdène, ceux-ci sont formés d’un complexe entre un oxyde de molybdène et une molécule de molybdoptérine [2]. Contrairement à cela, les nitrogénases utilisent – à la place de la molybdoptérine – des centres fer-soufre, de structure très différente dans laquelle le molybdène est lié à d’autres atomes métalliques : on parle ainsi de cofacteur de fer-molybdène (FeMoco). Ce dernier est à l’origine de l’activation chimique du substrat N2 et permet à certaines bactéries et cyanobactéries de fixer l’azote atmosphérique. Jusqu’ici, le mécanisme lié à cette activation était peu compris par les scientifiques et les atomes affectés dans le FeMoco difficilement identifiés. C’est pourquoi jusqu’à aujourd’hui, il était difficile de développer un catalyseur plus efficace pour la production industrielle.

En collaboration avec des groupes de travail du département de physique-chimie de Caltech à Pasadena (USA), de l’Institut Max-Planck de chimie bio-inorganique à Mülheim dans la Ruhr et de l’Université de Californie à Irvine (USA), les scientifiques de Fribourg ont réussi à identifier l’élément central de cet agrégat atomique : il s’agit du carbone. Cette connaissance peut être d’une grande importance pour la compréhension de la biogenèse et le fonctionnement des agrégats métalliques. Les scientifiques ayant montré que la FeMoco a un noyau de carbone, la possibilité de la synthèse d’une réplique de l’enzyme pour économiser l’énergie dans la production d’engrais azotés semble désormais proche.

[1] Le procédé Haber-Bosch est un procédé chimique destiné à synthétiser de l’ammoniac (NH3) par hydrogénation du diazote (N2) gazeux atmosphérique par le dihydrogène (H2) gazeux en présence d’un catalyseur. Il a une importance économique considérable car il est difficile de fixer l’azote en grandes quantités et à un coût peu élevé à l’aide des autres procédés mis au point. L’ammoniac ainsi obtenu sert le plus souvent à créer des engrais azotés synthétiques.

[2] La molybdoptérine est un précurseur de co-facteur à molybdène, parfois abrégé en MoCo, nécessaire à l’activité de certaines enzymes.

 

Pour en savoir plus, contacts :

Prof. Dr. Oliver Einsle, Institut de chimie organique et de biochimie, Université de Fribourg – tél. : 0049 761 203 6058 – email : einsle@biochemie.uni-freiburg.de

 

Sources :

« Biologisches Vorbild für industriellen Dünger », dépêche idw, communiqué de presse de l’Université de Fribourg – 22/11/2011 – http://idw-online.de/pages/en/news452223

 

Rédacteurs :

Myrina Meunier, myrina.meunier@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr