[Focus] Conférence Leibniz : M. Edenhofer présente des solutions contre le changement climatique

Le professeur Ottmar Edenhofer, directeur adjoint de l’Institut de Potsdam (Brandebourg) pour la recherche sur les effets du changement climatique (PIK), était l’invité d’une conférence organisée par la communauté Leibniz sur le thème « Science et politique: des solutions contre le changement climatique »

Présentation des conclusions du GIEC

 

En tant que coprésident du groupe de travail sur l’atténuation du changement climatique du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), M. Edenhofer a commencé par présenter les conclusions du 5ème rapport d’évaluation sur le changement climatique de l’ONU. Il a commencé par revenir sur le fait que les pays à revenu « moyen-élevé » ont rattrapé les pays industrialisés en terme d’émissions d’équivalent CO2 [1] par habitant. Cette constatation met en avant qu’aucun pays n’est parvenu à se développer économiquement sans utiliser les énergies fossiles. A l’heure actuelle les émissions historiques cumulées sont ainsi divisées à part égal entre les pays de l’OCDE [2] et le reste du monde. Cette dernière part étant amenée à croître dans les années à venir du fait de la croissance économique des pays en développement et de la décarbonisation progressive des pays du nord. Cependant, si l’humanité veut contenir le réchauffement à une moyenne mondiale de 2°C, seules 400 Gt de CO2-équivalent peuvent encore être relâchées dans l’air par l’homme d’après le budget carbone du GIEC [3].

M. Edenhofer a ensuite présenté les différents scénarios envisagés par les politiques du monde entier. En 2010, au sommet sur le climat (COP16) de Cancun (Mexique), certains pays avaient émis l’hypothèse de repousser à 2030 la mise en place de mesures contre le réchauffement climatique, afin de laisser le temps aux économies en développement d’augmenter leur niveau de vie pour réduire les inégalités nord-sud. Un tel scénario signifierait cependant un effort de réduction des émissions bien plus important après 2030, ce qui semble difficilement concevable. Le GIEC prône ainsi une utilisation accrue dès aujourd’hui des technologies bas carbone (nucléaire, séquestration du carbone ou CCS, biocarburants…) couplée à un effort d’efficacité énergétique impliquant une réduction des émissions de 40 à 70% d’ici 2050 (fourchette dépendant du niveau de déploiement des technologies de séquestration du carbone), afin que la température globale n’augmente pas au-delà de 2 °C.

 

Visions de la décarbonisation

 

Dans la seconde partie de son intervention, M. Edenhofer a décidé de parler en son nom propre, et non plus au nom du GIEC, pour exposer son opinion personnelle. Il est parti de la projection que, pour limiter le réchauffement global à 2°C, 2/3 des stocks d’énergies fossiles devraient rester dans le sol. Or, la plupart de ceux-ci sont déjà la propriété d’états ou d’entreprises. La lutte contre le réchauffement climatique reviendrait donc, dans une certaine manière, à « exproprier » ces investisseurs. Pour cela il a cité trois possibilités :

– Atteindre une rentabilité des énergies renouvelables suffisantes pour rendre l’extraction des énergies fossiles non rentable. Selon M. Edenhofer, cette situation est encore éloignée du fait de l’absence de technologies de stockage rentables. D’autant plus que les techniques d’exploration et d’exploitation des énergies fossiles ont fait des progrès considérables au cours des dernières années.

– Compenser financièrement les propriétaires pour qu’ils n’extraient pas les énergies fossiles. Cette proposition serait cependant inapplicable d’un point de vue économique (envolée du prix des barils encore extraits) et peut mener, par ailleurs, à des surestimations des réserves, afin de faire augmenter le montant de la compensation internationale (exemple de l’Equateur et du parc naturel de Yasuni).

– Introduire une fiscalité carbone mondiale, afin de rendre rentable les énergies renouvelables et de financer les infrastructures nécessaires au changement de paradigme des pays industriels et au décollage économique des pays les plus pauvres.

La dernière possibilité est celle préférée par M. Edenhofer. Il a pris le temps de la détailler en avançant qu’une fiscalité carbone efficace pourrait permettre de financer à elle seule le développement des télécommunications, ainsi que l’accès à l’eau et à l’électricité dans de nombreux pays. Par ailleurs, en taxant les énergies fossiles à leur juste valeur, c’est-à-dire en prenant en compte les externalités sur le climat et la santé, les technologies de stockage deviendraient rapidement rentables et cela permettrait d’enclencher un changement de paradigme énergétique qui serait compatible avec les mécanismes de l’économie de marché.

M. Edenhofer a conclu en répondant à une question du public sur la mise en place d’une telle politique. Il a souligné le fait que des marchés du carbone existaient ou allaient être introduits sur tous les continents : en Chine, la bourse carbone sera opérationnelle en 2016 ; en Europe, un assainissement des surplus de quotas et la fixation d’un prix-plancher de la tonne de CO2 pourraient rendre au mécanisme son efficacité. Pour parvenir à ces réformes, il a insisté sur le travail de pédagogie et de conseil à réaliser auprès des citoyens et des gouvernements afin de montrer en quoi la fiscalité carbone peut être profitable à court-terme.

[1] L’équivalent CO2 est une construction mathématique pondérée pour regrouper l’impact des différents gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, ozone) sous une même grandeur renvoyant à la quantité de CO2 correspondant à l’effet de serre provoquée par l’intégralité des gaz émis.

Pour en savoir plus, contacts :

– [2] L’Organisation de Coopération et de Développement Economiques regroupant la plupart des pays industrialisés du nord – http://www.oecd.org/fr
– [3] Voir le site en anglais « Trillionthtonne » pour une vision « en temps réel » du budget carbone et une appréciation des incertitudes de calcul actuellement acceptés par la communauté scientifique : http://trillionthtonne.org/
– Site internet du PIK (en anglais et allemand) : https://www.pik-potsdam.de
– L’intégralité du rapport du GIEC est disponible en anglais sur le site de l’ONU à l’adresse suivante : http://www.ipcc.ch/report/ar5/. L’ADEME propose par ailleurs un excellent site en français résumant les principales conclusions de ce rapport : http://leclimatchange.fr
– Pour une autre intervention de M. Edenhofer, voir BE Allemagne 681 « Conférence « Accélérer vers l’accord de 2015″ du Ministère fédéral des affaires étrangères allemand », 28/11/2014 – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/77185.htm

Sources :

Présence du rédacteur à la conférence (à l’Urania, Berlin, le 17/02/2015).

Rédacteur :

Sean Vavasseur, sean.vavasseur@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr