Conférence de la communauté Leibniz sur la médecine personnalisée

L’alliance Leibniz sur les technologies de santé (Leibniz Gesundheitstechnologien) [1] a organisé le 7 septembre 2016 une conférence suivie d’une soirée parlementaire sur la médecine personnalisée. Ces deux événements ont souligné le développement important de ce domaine, permis notamment par l’essor des technologies numériques, mais également les difficultés rencontrées, par exemple au niveau du financement et du transfert de technologie.

1. Domaines d’application de la médecine personnalisée

 

Comme l’a montré la présentation d’ouverture de la conférence, la personnalisation touche de nombreux domaines de la société : personnalisation des publicités sur internet, des produits (voitures, aliments),… En médecine, la personnalisation consiste à développer des thérapies ciblées pour des sous-groupes de patients, en fonction de leurs caractéristiques génétiques, biologiques, mais aussi de leur environnement ou de leur situation sociale, par exemple. Elle utilise pour cela des biomarqueurs pour le phénotypage des patients, les données issus des technologies OMICs [2], ou encore les données de santé.

La médecine individualisée profite en particulier à la cancérologie, avec le séquençage génétique des tumeurs et le développement d’immunothérapies et autres thérapies ciblées. Le premier essai clinique allemand de thérapie génique sur les récepteurs de lymphocytes T (TCR), associant l’hôpital universitaire de la Charité (Berlin), le Centre Max-Delbrück de médecine moléculaire (MDC, Berlin) et la société Medigene, et financé par le ministère fédéral de l’Enseignement et de la Recherche (BMBF), est en préparation. Mais la médecine individualisée concerne également de nombreuses autres disciplines médicales, comme l’ont présenté les différents intervenants : la neurologie, les maladies infectieuses, les maladies rares, la nutrition, ou même la médecine du sport.

 

2. Santé numérique et médecine individualisée

 

L’ensemble des intervenants a souligné que le développement de la santé numérique joue un rôle important dans celui de la médecine personnalisée, à travers l’essor des technologies OMICs, du séquençage du génome de nouvelle génération, ou encore des applications pour smartphone. Par exemple, certaines applications permettent d’améliorer ses habitudes alimentaires, et donc sa santé, comme l’a présenté un professeur de l’université Friedrich Schiller de Iéna (Thuringe). Cependant, ces applications présentent des limites (différence de métabolisme entre les individus, qualité des données,…), et leur impact réel sur la santé n’a pas été assez étudié.

 

L’Allemagne est peu avancée dans le développement de l’e-santé, notamment en raison des difficultés de déploiement de la carte de santé électronique, et de la question très sensible de la protection des données personnelles. Cependant, selon un représentant du ministère fédéral de la Santé (BMG), plus de 50% de la population considérerait qu’il est raisonnable de partager ses données pour la recherche ou la santé. Il est nécessaire de créer une infrastructure sûre pour l’échange et le stockage des données, ce que le gouvernement fédéral s’attache à faire grâce à sa loi sur l’e-santé[3]. Le BMBF soutient également le développement de l’e-santé à travers son programme « informatique médicale » (100 millions d’euros sur cinq ans) [4], et la médecine personnalisée en générale avec le programme « médecine individualisée » (360 millions d’euros de 2013 à 2016).

 

3. L’importance des tests diagnostiques

 

Un autre point qui ressort des discussions est l’importance du diagnostic, prérequis à la décision thérapeutique. Pour les maladies infectieuses par exemple, l’utilisation de thérapies standards a conduit au développement de résistances aux antibiotiques. Des diagnostics plus précis permettraient de diminuer ces résistances. Le professeur Jürgen Popp, directeur scientifique de l’institut Leibniz pour les technologies photoniques (IPHT, Thuringe), a ainsi présenté un outil diagnostique basé sur la spectroscopie Raman, permettant en moins de quatre heures d’identifier les pathogènes présents dans un échantillon et leurs résistances.

 

Les « tests diagnostiques compagnons », accompagnant une thérapie ciblée afin d’identifier les patients susceptibles d’en bénéficier, sont essentiels pour la médecine de précision. Afin de soutenir leur développement, et à la suite du « Pharmadialog » entre les pouvoirs publics et les acteurs de l’industrie pharmaceutique [5], le BMG s’est engagé à améliorer la réglementation concernant le remboursement des tests diagnostiques.

 

4. Difficultés de mise-en-œuvre

 

Cependant, la médecine personnalisée est encore peu utilisée en routine, et fait face à plusieurs obstacles :

  • les biomarqueurs sont encore trop peu développés et coûteux, et ne sont donc pas employés à grande échelle.
  • Le transfert de technologie de la recherche jusqu’aux patients prend trop de temps. Pour pallier à cette difficulté, le BMBF a lancé en 2012 l’initiative des « campus de recherche », regroupant établissements d’enseignement supérieur, instituts de recherche et entreprises.
  • Le déploiement de la médecine personnalisée pose la question des coûts de santé : certaines technologies, utilisées seulement pour des petits groupes de patients, reviennent très chères. Cependant, l’amélioration du diagnostic et la personnalisation des thérapies permettent d’éviter des traitements inefficaces, et donc de réduire les coûts. Dans l’ensemble, il est donc difficile de savoir si la médecine individualisée permettra de résoudre l’explosion des coûts de santé, ou si elle renforcera encore le problème.
  • Le système d’autorisation de mise sur le marché des produits de santé devra devenir plus flexible pour que la médecine de précision puisse continuer de se développer.

Enfin, certains intervenants ont insisté sur le fait que la médecine individualisée n’a pas qu’une dimension technique : c’est aussi l’aspect humain qu’il faut mettre en avant, avec le développement d’une médecine centrée sur le patient.

 

[1] L’alliance Leibniz sur les technologies de santé, anciennement alliance de recherche Leibniz sur les technologies médicales (Leibniz Forschungsverbundmedizintechnik), regroupe 15 instituts de la communauté Leibniz. Elle poursuit une approche interdisciplinaire alliant les domaines de la photonique, de la médecine, de la microélectronique, des matériaux, de l’économie et des mathématiques appliquées. Ses cinq domaines de recherche sont les technologies Point-of-Care, l’imagerie, les biomarqueurs, le plasma pour la médecine, et les surfaces bioactives.

[2] Les technologies “omics” font référence aux champs d’études de la biologie se terminant par –omique : la génomique, la transcriptomique, la protéomique, et la métabolomique, qui concernent respectivement l’analyse des gènes, de leur expression et de leur régulation, des protéines, et des métabolites produits.

[3] Voir le dossier « E-santé en Allemagne » du service pour la Science et la Technologie de l’ambassade de France en Allemagne – https://www.science-allemagne.fr/fr/actualites/technologies-de-linformation-et-de-la-communication-tic/parution-du-rapport-le-sante-en-allemagne/

[4] Voir l’article « Nouveau programme de financement du BMBF pour l’informatique médicale », Science-Allemagne, 08/12/2015 – https://www.science-allemagne.fr/fr/actualites/technologies-de-linformation-et-de-la-communication-tic/nouveau-programme-de-financement-du-bmbf-pour-linformatique-medicale/

[5] Voir l’article « Présentation des résultats du dialogue entre l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics », Science-Allemagne, 10/05/2016 – https://www.science-allemagne.fr/fr/actualites/biologie-medecine-sante/presentation-des-resultats-du-dialogue-entre-lindustrie-pharmaceutique-et-les-pouvoirs-publics/

 

Plus d’informations :

- site internet de la conférence (en allemand) : http://www.lfv-medizintechnik.de/veranstaltungen/symposium/personalisierung/

Source : Présence de la rédactrice à la conférence et à la soirée parlementaire.

 

Rédactrice : Rébecca Grojsman, rebecca.grojsman[at]diplomatie.gouv.fr – www.science-allemagne.fr