Le gouvernement allemand présente un projet de loi sur la protection des insectes et la sortie du glyphosate

L’adoption d’un compromis entre les services des ministères de l’agriculture (BMEL) et de l’environnement (BMU) ces dernières semaines, puis la clarification des derniers points de divergences lundi 8 février, ont permis aux deux ministres de présenter le projet de loi commun du gouvernement au cours d’une conférence de presse commune mercredi 10 février dernier. Le texte reprend en partie le programme d’action pour la protection des insectes proposé par le ministère de l’environnement en septembre 2019. Parmi ses principales mesures, il acte la sortie progressive du glyphosate et son interdiction totale à partir de 2024. Les prairies et vergers sont désormais inclus parmi les biotopes protégés, tandis que la distance minimale autour des cours d’eau en dessous de laquelle les épandages de pesticides sont interdits est augmentée, mesure qui pourra être encore renforcée à l’échelle des Länder. Le projet de loi prévoit aussi l’interdiction de certaines substances mettant en danger les insectes pollinisateurs dans les zones protégées. Enfin, il évoque la nécessité de réduire la pollution lumineuse dans un but de protection des insectes nocturnes.

Le nouveau projet de loi est salué par plusieurs associations de défense de l’environnement, dont l’association allemande de protection de la nature (Naturschutzbund Deutschland, ou NABU), qui se félicite d’un « premier pas » nécessitant une mise en œuvre intelligente par les Länder et des mesures soutien appropriées pour les agriculteurs. Il est critiqué par les Verts, qui déplorent la multiplicité de « petites mesures » et de trop nombreuses exceptions pour un enjeu qui demanderait une réponse plus systémique, tout en admettant qu’une telle réponse devrait s’inscrire dans un cadre européen. Le texte rencontre surtout des oppositions dans le monde agricole, avec l’inquiétude de contraintes supplémentaires sur les dispositifs de soutien financiers en place, concernant par exemple le soutien lié à l’interdiction d’épandage de pesticides près des cours d’eau. Les deux textes en question (projet de modifications par le BMU de la loi pour la protection de la nature et projet d’ordonnance par le BMEL sur la sortie du glyphosate) doivent maintenant être examinés par le Bundestag et le Bundesrat (assemblée des Länder). Les amendements du Bundesrat s’annoncent importants du fait du rôle central des Länder dans la mise en œuvre de la future loi.

Le constat d’un effondrement des populations d’insectes est le résultat de nombreuses études scientifiques. La réalité et l’ampleur du phénomène sont confirmées chaque année de manière plus décisive. Le ministère de l’environnement met particulièrement en avant l’étude « Krefeld », dont les résultats sont frappants. Réalisée par l’université de Nimègue sur la base des données collectées de 1989 à 2016 par les volontaires de l’association entomologique de Krefeld (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) dans 63 zones protégées d’Allemagne, la Krefelder Studie révèle une baisse de 76% de la biomasse des insectes volants durant cette période, une baisse qui va jusqu’à 82% en période estivale. Une étude plus ancienne, menée conjointement par le CNRS, l’INRA et le centre Helmholtz pour la recherche environnementale de Leipzig (UFZ) et publiée en 2008, avait estimé le manque à gagner mondial dû à la perte des services écosystémiques rendus par la pollinisation par les insectes dans un intervalle de 190 à 310 milliards d’euros par an.

La loi de protection des insectes fait aussi écho à plusieurs initiatives de recherche en cours. Le ministère de la recherche (BMBF) a lancé en février 2019 une initiative-phare de « recherche pour la conservation de la biodiversité » (Forschungsinitiative zum Erhalt der Artenvielfalt, ou FEdA) dans le cadre du programme FONA. Financée à hauteur de 200 millions d’euros sur 5 ans (2019-2024), elle a pour objectifs de développer un meilleur suivi de l’évolution de la biodiversité, d’améliorer la connaissance sur les causes de son déclin et de proposer des mesures visant à enrayer ce déclin. Principal axe stratégique du ministère de la recherche pour 2020 et 2021, la stratégie nationale pour la bioéconomie prend pourtant peu en compte l’enjeu de préservation de la biodiversité. Au-delà des programmes de recherche gouvernementaux, une alliance européenne de recherche « Vers une agriculture sans pesticide de synthèse » a été initiée en 2018 par l’INRAE, le centre Leibniz pour la recherche en agriculture (ZALF) et l’institut Julius Kühn (JKI). L’initiative, qui rassemble désormais 34 organismes de recherche dans 20 Etats européens, a publié en février 2020 une feuille de route pour renforcer la recherche européenne sur les alternatives aux pesticides. Plusieurs projets européens devraient voir le jour dans ce cadre dans les prochains mois.

La nouvelle loi de protection des insectes pourrait favoriser les coopérations de recherche entre la France et l’Allemagne sur la réduction des produits phytosanitaires et les alternatives aux pesticides, notamment dans le cadre de l’alliance européenne précitée. Par ailleurs, il est possible que le ministère de l’environnement allemand s’investisse davantage dans la recherche sur le sujet, notamment via ses agences fédérales de l’environnement (Umweltbundesamt, ou UBA) et pour la protection de la nature (Bundesamt für Naturschutz, ou BfN), dont les programmations pluriannuelles de recherche arrivent à échéance respectivement en 2022 en 2021.

Rédaction : Julien Potier ; julien.potier[a]diplomatie.gouv.fr

Sources

BMU : Schulze: Insekten schützt jetzt ein Gesetz

DW : Bundesregierung billigt Insektenschutz-Gesetz und Glyphosat-Verbot

NABU : NABU-Einschätzung zum Insektenschutzgesetz

Agrarheute : Einigung auf Maßnahmen zum Insektenschutz

Image d’illustration :Copyright MTES