Le neutrino est-il sa propre antiparticule ?
Le 15 novembre 2010 a débuté l’expérience Gerda (Germanium Detector Array) dans un laboratoire installé sous le massif italien de Gran Sasso. Les physiciens impliqués dans ce projet veulent déterminer si le neutrino [1] est sa propre antiparticule, en s’aidant de la désintégration radioactive du germanium. Si ce postulat était vérifié, les neutrinos pourraient s’annihiler mutuellement, comme cela peut être observé entre un proton et un antiproton. D’autre part, les chercheurs aimeraient déterminer directement la masse de ces particules, qui demeurent difficiles à observer.
Lors de l’expérience, des cristaux de germanium sont placés dans un grand volume d’argon liquide, lui-même entouré d’un réservoir d’eau de 10 m de diamètre. Ce dispositif est installé dans le plus grand laboratoire de particules astronomiques du monde, “l’Istituto Nazionale di Fisica Nucleare”, sous 1.400 m de roche dans le massif Gran Sasso au coeur de l’Italie.
L’expérience, baptisée Gerda, est développée pour mettre en évidence un processus extrêmement rare de désintégration spontanée de la matière : la double désintégration bêta sans neutrino. La double désintégration bêta classique est une transmutation [2] simultanée de deux neutrons en deux protons, avec émission de deux neutrinos et de deux électrons. Si cette désintégration venait à ne pas émettre de neutrinos, cela indiquerait que ceux-ci se sont annihilés et sont donc leur propre antiparticule. La difficulté du point de vue expérimental repose dans le fait que cette désintégration est tellement rare que son observation nécessite beaucoup de temps, de rigueur et de précision.
La problématique peut-être comparée à l’écoute d’un son unique, très faible et quasiment imperceptible au milieu d’un concert, qui serait aisément masqué par des bruits de fond : pour le percevoir, l’acoustique doit être parfaitement isolée de l’extérieur, et aucun bruit de la civilisation ne doit venir interférer avec la musique, au même titre que les sons émis par les mécanismes des instruments. L'”acoustique” de l’expérience Gerda repose sur un embriquement semblable à une poupée russe : une couche d’argon liquide, une couche d’eau très pure et une importante épaisseur de roches viennent protéger le son caractéristique de la désintégration respectivement contre la cacophonie produite par les milliards de particules provenant des profondeurs de l’univers, par la roche du massif et par la structure de détection elle-même.
Gerda est une expérience réalisée en collaboration entre 15 instituts de recherche allemands, italiens, russes, suisses, polonais et belges. Les instituts impliqués du côté allemand sont les Instituts Max Planck de physique nucléaire (Heidelberg) et de physique (Munich), l’Université technique de Dresde et l’Université Eberhard Karl de Tübingen. Huit détecteurs de 2 kg et de la taille d’une canette, composés de monocristaux de germanium très purs et enrichis de l’isotope germanium 76, vont être employés pour la première phase de l’expérience. Les électrons émis lors de la double désintégration bêta de cet isotope restituent leur énergie directement dans le cristal, qui peut ainsi servir aussi bien de source que de détecteur pour la désintégration. Les cristaux sont suspendus dans de l’argon liquide (à -186°C) dans un réservoir de 6 m de hauteur et 4 m de largeur (cryostat [3]), lui-même situé dans un réservoir d’eau de 9 m de hauteur et 10 m de diamètre.
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[1] Les neutrinos sont, au même titre que les électrons, des particules élémentaires (qui ne sont donc pas constituées de particules plus petites, d’après le modèle standard de la physique des particules). Avec les photons, ce sont les particules les plus fréquentes dans l’univers. Ils sont difficiles à mettre en évidence car ils interagissent très peu avec la matière.
[2] Une transmutation est une réaction de transformation d’un élément chimique en un autre par une modification de son noyau atomique.
[3] Instrument permettant d’obtenir des températures cryogéniques par l’utilisation de l’inertie thermique d’un liquide très froid.
Pour en savoir plus, contacts :
– Prof. Dr. Werner Hofmann – Institut Max Planck de physique nucléaire, Heidelberg – tél. : +49 6221 516-330 – email : werner.hofmann@mpi-hd.mpg.de
– Prof. Dr. Manfred Lindner – Institut Max Planck de physique nucléaire, Heidelberg – tél. : +49 6221 516-800 – email : manfred.lindner@mpi-hd.mpg.de
– Prof. Dr. Allen Caldwell – Institut Max-Planck de Physique, Munich – tél. : +49 89 32354-207 – email : caldwell@mppmu.mpg.de
– Dr. Béla Majorovits – Institut Max-Planck de Physique, Munich – tél. : +49 89 32354-262 – email : bela@mppmu.mpg.de
Source :
Dépêche idw, communiqué de la Société Max Planck – 15/11/2010 – http://idw-online.de/pages/en/news396692
Rédacteur :
Sebastian Ritter, sebastian.ritter@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr