L’Allemagne renforce son approche transverse entre science, technologie et société

Les sphères scientifiques, technologiques et sociales sont étroitement liées dans le quotidien des sociétés modernes. Du fait de leurs influences mutuelles et de l’accès à l’information, leurs interactions sont de plus en plus prises en compte dans la politique de recherche allemande : elles sont par exemple devenues un thème central de la Stifterverband, la fédération des fondations soutenant la science, ainsi que de nouveaux cursus « science et technologie », (Science & Technology Studies, STS), un domaine de recherche encore récent en Allemagne. Dans cette optique, trois scientifiques spécialistes de ce domaine viennent de publier l’ouvrage académique « Science & Technology Studies – une introduction anthropologique », premier essai collectif en langue allemande sur les STS du point de vue de l’anthropologie sociale. Il donne un aperçu de ce domaine de recherche émergent, complété par plusieurs études de cas empiriques en Allemagne.

 
L’objectif des professeurs Sorensen (Université de la Ruhr à Bochum, Rhénanie du Nord-Westphalie), Beck et Niewoehner (Institut d’ethnologie européenne à l’Université Humboldt de Berlin) est de promouvoir l’intérêt de ce domaine de la recherche et de renforcer la collaboration entre les STS et leur décryptage par des approches socio-anthropologiques. « La perspective anthropologique est particulièrement fructueuse, car elle offre un angle très pratique à la recherche », soutient Sorensen. Depuis juillet 2010, la scientifique fait d’ailleurs partie du groupe de recherche Mercator « Espaces anthropologiques de la connaissance: production et transfert » à l’Université de la Ruhr de Bochum.

 
Les trois chercheurs basent leur ouvrage commun sur la théorie du « post-acteur-réseau ». Ils ont examiné la façon dont les pratiques socio-technologiques et leurs acteurs sont mis en lien par les technologies numériques. Un exemple donné étudie les relations entre les enfants et les jeux vidéo violents : le concept « d’enfant » ainsi que celui de « jeu vidéo » sont deux entités séparées. Dès lors, les pratiques dans lesquelles ils se connectent l’un à l’autre sont le champ d’étude de la STS : il y a, par exemple, différentes catégories « d’enfants » et divers types de « jeux informatiques », qui se réunissent dans un champ socio-technique commun, contrôlé par les effets de la classification par l’âge, le type de pratique observée et par l’ancienneté ou la typologie du jeu, explique la professeure. Chacune des pratiques catégorisées n’est pas seulement une approche différente à des jeux violents, mais est également étroitement liée à l’autre, créant des contradictions, des limites et parfois des alliances entre elles. « Une tâche centrale du projet de recherche est donc de développer des méthodes et des concepts qui permettent de décrire et d’expliquer ces relations complexes entre une technologie et son appropriation », explique Mme Sorensen.

 
En raison de l’évolution des sciences et des technologies, et de fait l’évolution des sociétés qu’elles influencent, beaucoup de modèles classiques des sciences sociales ont récemment perdu de leur pouvoir explicatif, souvent parce qu’ils étaient basés sur une complexité moindre. Le point de vue anthropologique ne cherche pas, quant à lui, à expliquer la complexité par des modèles de réduction, mais se demandent comment les pratiques socio-matérielles s’adaptent et se mélangent à la nouvelle complexité, ce qui a pour effet de l’observer et de la comprendre. C’est bien à ce stade que les STS entrent en scène. Le principe est d’observer d’un côté la complexité et de l’autre la diversité des pratiques qui sont étroitement liées à la science et la technologie: la théorie examinera comment ces deux éléments prennent des formes diverses, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des institutions scientifiques et technologiques, et voir si ces formes sont prises simultanément ou non, chacune entraînant des tensions, voire des conflits. Si ce domaine de recherche a une histoire plus ancienne en France (travaux de Callon et Latour, entre autres), les décideurs allemands se basent de plus en plus sur ce type d’études pour ouvrir des pistes de R&D et valider la pertinence de certains projets ou usages, ou encore pour comprendre l’acceptabilité de la population à certaines innovations.

 

 

Pour en savoir plus, contacts :

– « repenser l’économie par les sciences de l’observation » (Okonomie neu denken), cahier de la Stifterverband, Wirtschaft & Wissenschaft, 2012
– « Science et société » (Wissenschaft und die Gesellschaft), article de la Stifterverband, Wirtschaft & Wissenschaft, 2012

 

Sources :

« Science and Techology Studies : Wissenschaft, Technologie und Gesellschaft im Zusammenspiel », dépêche idw, communiqué de l’Université de la Ruhr à Bochum – 19/11/2012 – http://idw-online.de/pages/en/news507575

 

Rédacteurs :

Charles Collet, charles.collet@diplomatie.gouv.fr – https://www.science-allemagne.fr