Le choix de l’extorsion comme stratégie de négociation (partiellement) validée par les électeurs et par une expérience de psychologie sociale

 

Des chercheurs de la société Max Planck (Allemagne) et de l’université d’Harvard (Etats-Unis) se sont livrés à une expérience pour déterminer les types de comportement et leur efficacité dans le cadre de négociations, en particulier celles portant sur le climat. L’expérience a montré que les individus les moins coopératifs, les « extorqueurs », sont le plus souvent élus par leurs semblables pour les représenter. Ces derniers parviennent à des résultats concluants au bénéfice de tous, et surtout d’eux-mêmes, dans le cadre de groupes de négociation supérieurs à deux individus.

 

Définition de l’expérience et de ses sujets

 

Les scientifiques ont défini un protocole de « jeu » de négociations climatiques incluant 630 étudiants d’universités allemandes (Bonn, Hambourg, Göttingen, Kiel et Münster).

 

Tous les participants ont reçu un budget de 40 € qu’ils pouvaient symboliquement investir dans la protection du climat. En cas de réussite des négociations, chacun pouvait conserver pour lui la part non-investie. En cas d’échec, c’est-à-dire si moins de 50 % de l’intégralité de l’argent disponible au sein du groupe de négociation était investie, la somme était perdue pour tous.

 

Trois types de groupes jouant différentes versions du jeu ont été créés. Dans chacun des cas, le jeu était répété trois fois :

 

  • Des groupes de négociations de six étudiants, chacun représentant directement leur pays.
  • Des groupes de négociations de 18 étudiants, chacun représentant directement leur pays.
  • Des groupes de 18 étudiants, chacun représentant directement leur pays durant la première partie. Lors de la seconde partie, six groupes de trois étudiants étaient formés, chacun devant élire un représentant en leur sein pour négocier au nom du groupe (et donc investir leur cagnotte commune). Lors de la troisième partie, ce représentant pouvait être réélu ou remplacé par un autre candidat. Une campagne électorale avait lieu préalablement au cours de laquelle chaque candidat pouvait présenter son plan de négociation et/ou son bilan (dans le cas de la troisième partie).

 

Par ailleurs deux types d’individus ont été identifiés au cours de l’expérience :

 

  • Les « coopératifs » prêts à donner leur juste part pour la réussite des négociations climatiques, voire plus.
  • Les « non-coopératifs » ou « extorqueurs » voulant donner moins que leur juste part (c’est-à-dire moins de la moitié) et persistant dans cette stratégie de manière rigide jusqu’à ce que les coopératifs compensent ce qu’ils ne veulent pas fournir ou que les négociations finissent par échouer.

 

Petits groupes de négociations plus efficaces que les grandes assemblées

 

La première conclusion de l’expérience montre que les négociations à six ont été plus souvent couronnées de succès que celles à 18 : dans des grandes assemblées, les individus perdent confiance dans la capacité des négociations à réussir et certains membres du groupe ont tendance à se cacher derrière les positions des autres. Dans les groupes de six, la notion de collectif est plus évidente et la négociation se déroule plus aisément.

 

Les « extorqueurs » élus… et efficaces

 

Les « extorqueurs » ont correspondu à une part plus importante des représentants que dans le cas des négociations directes dans des groupes de 6 : les électeurs auraient ainsi tendance à choisir des extorqueurs comme représentant. Par ailleurs, les représentants aux comportements « coopératifs » n’étaient fréquemment pas réélus en cas d’échec des négociations, bien que cet échec soit dû aux comportements intransigeants d’autres négociateurs.

 

Les coopératifs ont conscience que l’extorsion est une option mais refusent de s’y résoudre : les comportements adoptés par chacun ne varient guère au cours des trois parties. Aussi les électeurs s’en remettent à un représentant pour adopter une stratégie inflexible à leur place.

 

Il s’est cependant avéré que les extorqueurs, campant sur leur position intransigeante de manière rigide, permettaient aux négociations d’aboutir en forçant les autres négociateurs à compenser leur déficit. Cette stratégie permet en fin de compte à tous de bénéficier du succès : les extorqueurs beaucoup, les coopératifs un peu.

 

Environ 40% des participants de l’expérience ont adopté un comportement d’extorqueur. Cette proportion peut, avec prudence, être extrapolée au reste de la population et correspond aussi certainement à une valeur limite pour l’efficacité de cette stratégie : au-delà, un trop grand nombre de positions inflexibles conduirait à un échec systématique des négociations.

 

Parallèles avec des négociations réelles

 

L’expérience semble validée par plusieurs exemples réels récents : la COP21 a vu des parties s’entêter dans des positions intransigeantes, forçant d’autres à compenser la faiblesse de leurs engagements, ce qui n’a pas pour autant empêché l’aboutissement du processus et a, in fine, bénéficié à tous.

 

Dans le cas des négociations européennes sur les quotas de réfugiés, des représentants ont adoptés des postures peu coopératives pour obliger d’autres pays à augmenter leurs quotas. Cependant au fur et à mesure que les positions se sont durcies, c’est la viabilité de l’accord qui a été remise en cause.

 

Enfin les cas emblématiques des réunions du G7 et du G20 montrent que les petites assemblées sont effectivement plus efficaces pour dégager des consensus et lancer des actions communes, que les grandes assemblées qui peinent à se mettre d’accord.

 

 

Plus d’informations :

 

Source : « Wähler wollen erpresserische Repräsentanten », Communiqué de presse de la société Max Planck, 07/03/2016 – http://www.mpg.de/10347494/waehler-erpresser

 

Rédacteur : Sean Vavasseur, sean.vavasseur[at]diplomatie.gouv.fr – www.science-allemagne.fr