Le bio peut-il nourrir l’Allemagne ?

 

L’agriculture biologique a, encore aujourd’hui, des rendements inférieurs de 20% à l’agriculture conventionnelle. Mais ce retard pourrait se rattraper. Dans le journal « Die Zeit », le journaliste Frank Drieschner fait part de ses réflexions et de la situation actuelle de l’agriculture biologique en Allemagne.

Premiers constats : la population mondiale croît, les terres arables se raréfient, les prix des denrées alimentaires augmentent. Il lui paraît dans ces conditions difficile d’imaginer que l’Allemagne, sans parler de l’ensemble de l’humanité, pourrait se convertir à l’alimentation biologique. Le bio ne serait-il alors que du luxe pour la population ?

Frank Drieschner prend l’exemple de la ferme de Kattendorf [1], une ferme biologique dans la région de Hambourg. Sur 150 hectares de terre, elle produit à peu près toutes les denrées alimentaires de base : céréales, légumes, pommes de terre, viande, charcuterie, oeufs, lait, formage et beurre. Selon leurs propres estimations, l’exploitation pourrait nourrir 700 personnes. Par conséquent, nourrir les 82 millions d’Allemands nécessiterait 17,6 millions d’hectares de terres arables et de prairies. Or, déjà 17 millions d’hectares (dont 12 millions de terres arables) sont actuellement utilisés pour l’agriculture. A titre de comparaison, il faut noter que en Allemagne, 990.702 hectares ont été cultivés en 2010 par environ 22.000 exploitations en agriculture biologique.Cela correspond à presque 6% de la surface agricole totale utilisée en Allemagne. Le lande de Brandebourg est en tête avec 10,8%, suivi de la Sarre avec 10,2% et de Hessen avec 9,9%. Toujours d’après le journaliste, les surfaces dédiées à l’agrocarburant (environ 2 millions d’hectares) devraient diminuer. De poursuivre que l’on peut aussi pratiquer l’agriculture biologique de manière intensive, comme cela se passe à Kattendorf.

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Une autre question concerne la volonté des Allemands eux-mêmes : sont-ils prêts à changer leurs habitudes ? Un consommateur lambda devrait en effet s’habituer à une maigre ration de viande, et accepter qu’en hiver le menu se révèle monotone : pommes de terre, chou, navets et betteraves uniquement.

L’Allemagne importe actuellement plus de denrées alimentaires qu’elle n’en exporte. Même un Kattendorf national doit acheter du café, du thé, du cacao et des fruits tropicaux à l’étranger. Autrement, celui-ci serait à peu près autosuffisant, et pourrait même, en conséquence, désencombrer le marché mondial. Aujourd’hui, l’Allemagne a pourtant d’énormes réserves, mais elle utilise davantage son blé pour l’alimentation animale que pour nourrir sa population et, de plus, importe pour son bétail encore de grandes quantités de soja. Avec moins de viande et la fin de la culture du tout-jetable (qui coûte jusqu’à un tiers de toute la nourriture), le pays pourrait exporter davantage de denrées alimentaires qu’il n’en importe. Mais dans le cas de Kattenhof, poursuit le journaliste, le cheptel ne peut pas être réduit car le fumier est utilisé comme engrais. Et déjà aujourd’hui, plus rien n’est jeté : en cas d’été sec, les clients reçoivent alors les pommes de terre de sous-catégorie.

L’agriculture conventionnelle est simplement plus productive – certes, en moyenne seulement de 20% -, comme l’a révélé une grande étude néerlandaise, publiée en janvier 2012 dans la revue spécialisée « Agricultural Systems » [2], et qui réunit les données de 362 recherches du monde entier. Mais cette avance est contrebalancée par des coûts environnementaux énormes qu’elle engendre. Le rapport agricole mondial de 2008 de la Banque Mondiale [3] en a fait la liste : sur-fertilisation, appauvrissement et érosion des sols, baisse du niveau des nappes phréatiques, eaux de surfaces contaminées par les nitrates, pesticides difficilement dégradables, ravageurs plus résistants – problèmes que la ferme de Kattendorf ne connait pas. Le retard de productivité peut probablement être rattrapé : 20%, c’est peu, étant donné que les rendements agricoles mondiaux ont été multipliés en l’espace de dix ans.

 

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] Site internet de l’exploitation agricole : http://www.kattendorfer-hof.de/
– [2] Publication originale : « The crop yield gap between organic and conventional agriculture », Agricultural Systems – 07/02/2012 – http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308521X1100182X
– [3] Rapport agricole mondial (en anglais) : http://www.globalagriculture.org/index.php?id=2003

 

Sources :

« Kann Bio uns alle satt machen? » article du DieZeit – 28/03/2012 – http://www.zeit.de/2012/13/Bio-Frage-3-Platz

 

Rédacteurs :

Marie-Laetitia Catta, catta@afast-dfgwt.eu